• Comme on va manger un max de moderne, modernisme et d’invitations à nous moderniser, voici un texte de Péguy à ce sujet.
    Quand […] nous disons moderne, nous employons, nous introduisons un mot technique, un mot très technique, et non point, et non plus un mot de littérature et d’épithète. Moderne est fixe. Moderne est daté, enregistré, paraphé. Moderne pourrait se mettre sur un timbre à date, sur un dateur automatique. Moderne est connu. Moderne est déterminé. Moderne ne bouge plus. Moderne est une période, parfaitement déterminée. Moderne a (eu) un commencement, (a eu ou a ou aura) un milieu et (aura) une fin. Moderne a des limites, il a des frontières indéplaçables. Il en a eu heureusement, et qui sont indéplaçables, heureusement, dans le passé. Il en aura, heureusement, et qui, une fois obtenues, seront ainsi aussi devenues à leur tour indéplaçables, heureusement, dans le futur. Moderne est un terme technique, dans tout le sens et la force du mot terme, du terme terme, dans tout le sens et la force du mot technique. Moderne est la pierre cherchée […]. Moderne est la pierre cherchée, et comme il est aussi un bloc, il est ainsi un bloc de pierre, la pierre qu’il fallait pour une inscription monumentaire, le titre lapidaire. Au lieu que contemporaine. Moderne est en pierre. Contemporaine est en dentelle. […] Moderne est dur. Contemporaine est presque élégant. Contemporaine est la borne qui se déplacerait avec le terrain, avec le champ de la course ou avec le champ fixe de labourage ou de toute culture ou jachère ou inculture. Contemporaine est un terme qui bougerait, qui ne serait donc point un dieu Terme. Moderne est un peu âcre au goût, un peu âpre, amer. Un peu vert, un peu sur. Contemporaine a je ne sais quoi d’un peu sucré. Il y aurait dans contemporaine (par voie d’acquisition, naturellement, par absorption, et non point évidemment par la voie de l’étymologie) un soupçon de confiserie que je n’en serais pas autrement étonné. C’est un mot qui a pris aujourd’hui un certain goût de salon, de thé de cinq heures et quart, et de petits gâteaux. […]
    Moderne enfin peut être un mot d’injure. On n’injurie pas un monsieur en l’appelant contemporain. »

    #littérature #politique #culture