gata

garçon blanc hétéro. de nationalité française.

  • Pour une éducation populaire féministe
    Entretien avec les auteures de l’ouvrage Education populaire et féminisme,
    partie 1
    http://lmsi.net/Pour-une-education-populaire
    partie 2
    http://lmsi.net/Pour-une-education-populaire,1861

    (Que du bon dans cet entretien, je cite juste un long passage sur les réactions personnelles et collectives des gars.)

    Quand vous vouliez que les hommes travaillent sur leurs privilèges, était-ce avec cette idée qu’ils prennent conscience de leur position de domination ? Comment aviez-vous envie que ce soit travaillé ? Et pourquoi ça n’a pas été travaillé d’après vous ?

    – [rires] Vu qu’on est un groupe non-mixte-femmes, de fait il y a eu un groupe non-mixte d’hommes pendant l’Université d’été. Ils se sont réunis, ils ont fait un petit cercle et ça a été une catastrophe apparemment. Une catastrophe parce que plusieurs ne se sentaient pas dans l’existence d’un groupe non-mixte hommes. Déjà, tous n’étaient pas là, et ils n’avaient pas le même désir derrière. Je n’arrive pas à mesurer quel a été le travail individuel. Après cette classe d’hommes, elle n’est pas homogène non plus, on l’a analysé…

    – On voulait pousser les hommes à travailler mais il y a eu un refus de prise en charge collective, avec du déni et des prétextes comme : « On n’est pas concernés », « Je ne m’y retrouve pas du tout », ou encore « Moi, je suis pas trop mal, j’ai pris conscience et je vais continuer ; mais avec les autres, c’est trop dur ». Ceux qui auraient peut-être pu prendre en charge leur classe, s’astreindre à de la réflexivité, se remettre en question et faire de la pédagogie, ils n’ont pas voulu le faire. L’ensemble du boulot qui a été fait, ce sont des femmes qui l’ont porté, partout, tout le temps. Il y a eu vraiment une grosse opposition à mettre en travail les privilèges masculins. Le fait de dévoiler comment les hommes font classe pour augmenter leurs capitaux et assurer leurs privilèges a été une des causes de répression très forte. Autant la notion même de privilèges dans le rapport social capitaliste est actée, autant les privilèges dans le rapport social patriarcal sont mis en doute. Rien que le terme, il a été refusé totalement.

    – Ce que j’attendais certainement sur cette question des privilèges, c’était de l’ordre au moins d’une conscience collective et des modifications visibles des pratiques professionnelles – dans le rapport aux stagiaires ou dans les co-animation homme-femme. C’était tellement flagrant ! Cela aurait été un premier pas déjà. Mais comme de toute façon pour certains, notre analyse était insupportable dès le départ, ça l’est devenu forcément beaucoup plus à mesure qu’on travaillait. Certains hommes ont décidé d’abdiquer et de partir en disant que ce n’était pas possible de remettre en question ses privilèges, et que c’était insupportable pour eux d’être jugé sur son côté dominant et réac’. Alors concrètement, il n’y a rien eu de travaillé ; peut-être à la marge seulement : des changements de discours et des attentions, des vigilances, mais rien dans les pratiques de fond.

    – En fait tout ce qu’on a gagné – en « prendre moins dans la gueule », se faire moins couper la parole, qu’ils accaparent moins l’espace sans se poser de questions – c’est seulement avec le rapport de force qu’on l’a obtenu. Et la continuité de notre groupe est la seule chose qui garantit de contenir tout ça.

    Je ne sais pas si on attendait quelque chose de ce travail de remise en question des privilèges. On voulait surtout s’occuper de nous et travailler pour les femmes. Il y avait une nécessité à fabriquer de la protection sociale, on a donc créé du « droit féministe » au sein du réseau sur les conditions de travail, sur les conditions matérielles de subsistances et sur le fond politique. Ce travail sur les privilèges a été une piste lancée comme ça. Et on n’allait pas faire le travail à leur place en plus.

    – Après il y a eu du soutien ; je dirai qu’il y a individuellement de l’alliance proféministe dans des espaces intimes, mais pas avec une parole d’interpellation des autres hommes. En tous cas, à l’échelle du réseau, tout ce qui demande à se départir de privilèges ou à assumer du travail, et bien pour moi il n’y a rien, sauf peut-être quand on envoie un collègue au front pour « gérer » les « gros virils ».

    – Moi je n’attendais rien d’eux parce que tout de suite je me suis dit c’était simplement des patrons dans un autre rapport social. Je n’attendais pas d’eux qu’ils changent. Par contre je ne m’attendais pas à ce qu’ils détériorent autant nos rapports. C’était un peu naïf de ma part : j’ai subi comme toutes les femmes du collectif la détérioration patente et violente de nos rapports.

    – Pour ne pas travailler leurs privilèges, certains hommes – en particulier ceux du Pavé – ont nié le désaccord politique. C’est une stratégie hyper forte, car elle autorise à traiter l’auto-dissolution du Pavé comme un « divorce », c’est à dire à rester dans le registre psychologique, conjugal ou familial, alors même que notre brochure vient analyser politiquement le conflit et les divergences d’orientation dans l’éducation populaire. Bien sûr, à partir du moment où il y a un déni de la dimension politique du désaccord, on ne peut pas rentrer dans un débat.

    (Vu qu’il n’y a pas « désaccord », il y a …

    – … il y a récupération, appropriation de notre travail, dans un deuxième temps.

    On avait bien conscience de cette possibilité alors on a essayé de l’éviter. Par exemple, on a choisi de ne pas faire relire le livre par les hommes du réseau avant parution, et pour les présentations publiques du livre, on a clairement acté qu’aucun homme du réseau ne présenterait le bouquin. Seules les rédactrices peuvent le faire.

    Mais certains gars trouvent quand même d’autres moyens de bénéficier de notre travail en passant pour des hommes avertis, féministes, au travail quoi ! Alors que bon... Cela nous surprend toujours que des hommes puissent à la fois se dire victimes de notre travail et en tirer profit dans leur action dans d’autres sphères sociales.

    #education_populaire #profeminisme #privileges #patriarcat