Davduf

#UnPaysQuiSeTientSage soutenu par la Quinzaine des Réalisateurs, Prix Lumières meilleur documentaire 2021, nommé aux Cesar 2021, « DernièreSommation » (Grasset), punk rock & contre-filatures + https://twitch.tv/davduf

  • Devenir révolutionnaire en regardant Westworld - Première partie [Quand j’entends le mot culture]
    https://lundi.am/Devenir-revolutionnaire-en-regardant-Westworld-Premiere-partie-Quand-j-entends

    Les hôtes n’ont aucune ressource intérieure qui soit pure de la cruauté de leurs créateurs : leur « soi » n’existe pas, il n’est jamais qu’une identité jetable, une backstory . Preuve de cette soumission ontologique : l’impossibilité de tuer les invités, impossibilité qui devient au fil des épisodes le symbole et le verrou de leur asservissement intérieur. Car s’ils ne peuvent donner la mort ; ils ne peuvent créer de l’irréversible ; ils ne peuvent vivre ni évènement, ni histoire. Leur « existence » n’est donc que cybernétique : fonctionnement, boucle, répétition, feedback.

    La vie des hôtes est donc scriptée, et plutôt mal : les aventures qu’ils proposent ne sont que des prétextes stéréotypés au défoulement des passions tristes des joueurs. Au raffinement de la programmation s’oppose la bêtise des scénarios. Evidemment les joueurs ne peuvent pas vraiment perdre, puisqu’ils ne peuvent mourir : il n’y a donc pas d’enjeu réel autre que le divertissement dans ce monde qui reboot tous les soirs. Dans cet éternel retour du même, les hôtes vivent tous les jours une journée exceptionnelle, suffisamment exceptionnelle pour susciter l’attention du joueur : telle maison close se fait braquer à répétition, telle fermière voit son père mourir tous les soirs, etc. L’existence des hôtes est donc scénarisée comme une crise permanente et quotidienne. Mais l’effacement systématique de leur mémoire à chaque reboot les force à vivre sous le régime de la normalité. Ils se lèvent tous les matins comme si de rien n’était, pour finir tous les soirs par se faire violer ou assassiner. Westworld est donc un monde parfaitement spectaculaire, c’est-à-dire sans histoire : rien n’est irréversible, et des scénarios répétitifs tiennent lieu d’évènement. L’ordre est théoriquement immuable ; de lui-même, le monde du parc n’a aucune raison de changer. Seul le besoin de renouveler l’expérience du jeu pour attirer plus de clients justifie des modifications dans les storylines, ou l’introduction de nouveaux personnages.

    Car #Westworld est un jeu vidéo : il y a les invités, les joueurs, et les personnages non-joueurs, les hôtes. C’est un Red Dead Redemption qui s’est donné une physique, et une géographie, mais c’est un jeu vidéo quand même, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un monde fait de quêtes. Chaque hôte est pris dans une boucle : tous les jours, il répète les mêmes gestes, prévisibles car designés jusque dans leurs moindres détails. Il peut offrir une quête à chaque joueur : tel hôte tombe dans une flaque de boue, et à chaque joueur qui le relève il propose une chasse au trésor ; si le joueur accepte, il le guide dans diverses aventures au terme desquelles il est invariablement massacré, et le joueur diverti. Bref, ce qui tisse l’existence au sein du parc, c’est l’entremêlement complexe des diverses « storylines » des hôtes, conçues comme des mauvais films par le scénariste en chef, aussi exubérant que racoleur. Quand les storylines s’épuisent, que les joueurs se lassent de tel ou tel hôte et de sa "backstory", on l’envoie au pilon.

    #série #fiction