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  • La raison d’être de Westworld | Sylvain Raymond
    http://quebec.huffingtonpost.ca/sylvain-raymond/serie-westworld-hbo_b_12759208.html

    Plusieurs critiques ont reproché à Westworld le manque de linéarité dans l’arc narratif de ses personnages, c’est-à-dire la capacité pour le spectateur de se raccrocher à un personnage, ou à un autre, afin de suivre l’évolution du récit. Par exemple, Westworld ressemble au film Blade Runner (1982) si Harrison Ford n’était qu’un simple personnage parmi tous les autres où le spectateur ne ferait que questionner incessamment chacune des réalités proposées : cela peut devenir lourd par rapport à la forme traditionnelle d’un récit.

    Par contre, c’est précisément l’objectif (le « purpose ») de Westworld.

    Certains spectateurs regarderont Westworld pour le divertissement typiquement HBO soit le sexe, la violence, l’esthétisme. À l’image de notre génération, HBO se spécialise dans la controverse qui repousse les barrières du puritanisme.

    Il en va de même pour les invités du parc d’attractions Westworld.

    Westworld, la série, propose une mise en abyme qui place le spectateur dans la peau des invités du parc d’attractions. Certains paieront le lourd prix d’abonnement mensuel de la chaîne HBO pour le divertissement facile, mais tel qu’on l’explique dans la série, plus on s’éloigne du village initial de Westworld, plus on s’égare dans les méandres du parc d’attractions, plus on y découvre différentes variantes plus fondamentales de l’expérience.

    On ne peut plus/pas écrire une série sans tenir compte de l’interaction avec son public qui ne cesse de réagir de plus en plus en direct.
    Au-delà des orgies, ce sont aux limites du parc d’attractions de Westworld qu’on retrouve le laboratoire qui orchestre l’environnement immersif : le studio de production Westworld.

    En effet, chacun des androïdes est programmé pour réagir selon les possibilités de sa trame narrative semblable à celle d’un acteur sur un plateau de tournage : des répliques sont inévitables, certains ad lib sont toujours possibles. La réponse à la libération/révolte des androïdes se trouve dans la pleine compréhension de leur environnement, soit l’articulation du studio de production pour un public qui vient s’y divertir.

    Ainsi, Westworld, la série, demande-t-elle ou s’attend-elle à ce que son public en fasse de même ?

    La multiplication des plateformes numériques ainsi que le défi des chaînes télévisées comme HBO à rentabiliser l’écoute programmée - face à l’alternative des plateformes de contenu comme Netflix qui préfèrent la mise en ligne complète d’une série et le « binge watching », une espèce de surconsommation de contenu sans relâche - font en sorte qu’on ne peut plus/pas écrire une série sans tenir compte de l’interaction avec son public qui ne cesse de réagir de plus en plus en direct.

    Westworld est donc (hyper) conscient que son public (se) questionnera. De l’instant où un épisode se termine jusqu’au dimanche où débute l’épisode suivant, le web est inondé de théories spéculatives sur ce qui se déroule dans la série Westworld. Tout comme les personnages qui s’attardent plus loin que la nudité et la violence, le public cherche à comprendre quelque chose de plus vrai.

    Pendant que d’autres séries se consomment en gavage, étape logique de notre existence occidentale qui carbure désormais à grands coups de séries sur la cuisine et la nourriture, comme si le dernier seuil de la découverte était littéralement notre propre nombril, Westworld propose une alternative qui permet la remise en question du divertissement consommé, de la manière dont il est produit par une maison de production qui industrialise le contenu pour ma situation de spectateur qui demande justement ce type de série à travers les boucles incessantes de notre routine programmée.

    Tel est l’objectif exceptionnel de Westworld, que la quête de sa raison d’être soit intrinsèquement la nôtre.
    L’interaction du public vis-à-vis Westworld - le parc d’amusements virtuel où des androïdes aux allures hyper-humaines se révolteront possiblement contre leur Créateur, ce narrateur-Dieu qui, comme c’était le cas dans True Detective, articule un récit habituellement à l’abri de ses sujets - force le spectateur à remettre en question sa responsabilité dans le sort réservé aux personnages qui souffrent pour le simple plaisir d’autocritique que nous nous accordons.

    Ainsi, les spectateurs qui décideront d’entreprendre ce parcours, à défaut de se contenter de la nudité et de la violence à outrance, découvriront potentiellement quelque chose de plus vrai sur eux-mêmes, grâce à l’expérience du divertissement, sur leur état dans un monde réel où tous nos besoins sont assouvis, sauf peut-être, la raison d’être.

    Il ne faut donc pas rechercher la linéarité narrative chez les personnages de Westworld, mais plutôt chez nous, dans notre construction ontologique de spectateur qui détermine la série que nous regardons et les raisons qui motivent notre appréciation (ou non) de cette situation.

    Tel est l’objectif exceptionnel de #Westworld, que la quête de sa raison d’être soit intrinsèquement la nôtre.

    #série #fiction