• Le jour sans fin de l’état d’urgence
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    "Avec le projet du gouvernement Philippe d’intégrer dans le code de la sécurité intérieure, avant la sortie de l’état d’urgence prévue le 1er novembre 2017, les mesures phares et les plus liberticides de la loi du 3 avril 1955, on peut craindre que les personnes concernées par ces mesures entrent durablement dans une boucle temporelle qu’on trouve dans de nombreux films de science-fiction tels qu’Un jour sans fin ou encore Un jour sans lendemain (Edge of Tomorrow). Plus largement, on assiste à une installation durable de la logique de l’état d’urgence dans la légalité ordinaire1, renforçant le mouvement d’exceptionnalisation du droit de la lutte contre le terrorisme mais aussi d’administrativisation de celui-ci qu’on constate depuis une dizaine d’années2.

    Cette inscription dans le droit commun des mesures de l’état d’urgence était – malheureusement – prévisible et annoncée par tous les spécialistes des états d’exception dès le début de l’actuel état d’urgence. Il suffit de relire des entretiens donnés dès la fin de l’année 2015 par des collègues comme François Saint-Bonnet ou Olivier Beaud pour s’en rendre compte.

    On constate que l’état d’urgence a été un laboratoire qui a permis aux autorités publiques de tester nombre de mesures de police administrative restrictives de libertés et ce, bien au-delà de la menace liée au terrorisme : assignations de militants pendant la COP 21, interdictions individuelles de manifestation, emblématiquement pendant la loi El Khomri ou à Nantes autour des mobilisations contre Notre-Dame-des-Landes mais aussi, comme l’a démontré un récent rapport d’Amnesty international3, plus généralement sur la période (d’où la QPC contre les interdictions de séjour)4. Sur tous ces sujets comme sur d’autres, l’administration s’est habituée aux pouvoirs exorbitants que lui confère l’état d’urgence et elle ne veut plus s’en passer – même s’il n’a jamais été démontré qu’ils aient eu une réelle efficacité contre le terrorisme. Même, les différents rapports d’évaluation soulignent plutôt qu’en matière de terrorisme, la montagne accouche d’une souris ; on lit ainsi dans le rapport Pietransanta de 2016 : « Force est de constater que les mesures prises pendant l’état d’urgence n’ont pas été évoquées par les spécialistes de la lutte contre le terrorisme comme jouant un rôle particulier dans celle-ci ». De même pour Jean-Frédéric Poisson, rapporteur de la commission parlementaire sur le contrôle de l’état d’urgence, qui a déclaré le 30 mars 2017 que : « L’état d’urgence ne sert plus à rien […] le gouvernement a renouvelé l’état d’urgence par manque de courage, pour rassurer l’opinion ».

    Et si l’on adopte une perspective de droit des libertés, ce n’est plus la montagne qui accouche de la souris, c’est l’enclume pour planter une punaise. À qui fera-t-on croire, en effet, qu’il est nécessaire pour la sécurité des Français de maintenir une soixantaine de personnes supposées dangereuses sous assignation à résidence, de pouvoir interdire de séjour ou de manifester quelques centaines de personnes cherchant à « entraver l’action des pouvoirs publics », ou encore de pouvoir perquisitionner n’importe qui sans autorisation d’un juge ?

    La solution trouvée par Emmanuel Macron pour sortir de ce guêpier apparaît aujourd’hui au grand jour : si on ne peut quitter l’état d’urgence pour cause d’accoutumance, il convient alors de l’intégrer – de le normaliser – en rendant permanentes les mesures dont il est fait."