Je tourne et retourne depuis hier soir deux pensées, l’une contre l’autre, l’une avec l’autre. L’une se frottant à l’autre.
D’un côté il y a mon rejet viscéral de cette parole de Macron à propos qui gens qui ne sont rien .
De l’autre il y a cette conversation téléphonique avec l’orthophoniste de Nathan la semaine passée.
On voit donc comment il est périlleux d’agiter ces deux pensées dans le voisinage l’une de l’autre, mais quelque chose me dit qu’on doit pouvoir quand même le faire, mieux, que je dois le faire.
Voilà le mail que j’ai envoyé à l’orthophoniste de Nathan, finalement c’est comme ça que je peux le mieux décrire ce moment de très intense émotion de la semaine dernière
Chère X.
Vous n’imaginez pas le retournement de situation que vous avez produit hier en me faisant cadeau des paroles de cette mère d’un enfant autiste. Cela me chamboule de fond en comble. Au point de me demander comment je pourrais vous l’écrire (d’habitude écrire, je sais un peu le faire). En fait les mauvaises nouvelles ne me font pas tomber, cela m’arme, je fais le dos rond, j’encaisse et je me bats. La contrepartie de cette combattivité c’est que j’ai du mal à accueillir les bonnes nouvelles qui me fauchent entièrement. Comme hier.
Dans la vie de tous les parents, il y a des hauts et des bas. Dans la vie des parents d’un enfant autiste, c’est la même chose, il y a des hauts et des bas, sauf que les bas sont très bas et les hauts très hauts. Par exemple quand j’apprends qu’une certaine principale de sombre mémoire a pris la décision en douce d’exclure Nathan, en matière de désespoir, on touche le fond. Mais quand Nathan il y a quelques années revient de son stage en boulangerie avec une boîte pleine d’éclairs au chocolat qu’il a faits lui-même, on touche aussi le plafond et même on le crève. L’oscillation constante entre ces deux pôles a quelque chose de tout à fait usant, vous n’avez qu’à voir la couleur de mes cheveux.
Et puis il y a le long terme, ce qui n’est pas sans relation avec une certaine coloration de cheveux. Quand Nathan était petit, ses progrès étaient sensibles et pas beaucoup moins rapides que ceux des enfants de son âge, il collait encore au score comme on dit au rugby. Et puis, naturellement, d’une part la courbe des progrès de Nathan s’est infléchie légèrement pour devenir logarithmique et celle des enfants de son âge a connu une croissance au contraire exponentielle, et l’écart devient une mesure cruelle au point qu’il est parfois difficile de se projeter. C’est déjà assez préoccupant de savoir ce que vont devenir les soeurs de Nathan (quand bien même je leur fais une confiance aveugle pour ce qui est de faire des choses merveilleuses plus tard), dans le cas de Nathan ce n’est pas une préoccupation c’est une angoisse sans fond, tant on peut avoir le sentiment qu’il ne va jamais faire son trou et que la société qui doit l’accueillir n’est justement pas connue pour cette bienveillance dont il aura nécessairement besoin.
Les cinq dernières années ont été un chemin éprouvant, vous en connaissez quelques extraits et comme me l’a dit dernièrement monsieur I (psy de Nathan), « vous avez tenu bon », tout comme Monsieur C (psychomotricien de Nathan) m’encourageait à le faire, « Monsieur De Jonckheere, vous êtes un pilier, vous devez tenir ». Pendant tout ce temps je ne vous cache pas que j’ai parfois eu plus que des doutes, j’ai même conçu de la jalousie envers les parents d’enfants sans les complications qui sont celles de Nathan, parfois même de façon injuste et je peux vous dire que certaines des paroles du triumvirat C./I./A. ont été salutaires, je vous ai fait confiance quand vous m’avez dit que Nathan allait s’en sortir, au fond de moi je n’étais pas toujours sûr d’y croire mais j’ai eu confiance en vous trois, je me suis dit que vous aviez tous les trois de l’expérience. Pour ne rien vous cacher j’aurais tellement aimé qu’on me montre ce que Nathan est aujourd’hui, cela m’aurait rassuré.
Alors apprendre de vous hier soir que Nathan était lui-même devenu une telle promesse pour les parents d’un autre enfant autiste, cela me fauche complètement.
Pendant toute l’enfance de Nathan j’ai milité pour qu’il ait sa place. Au rugby c’était facile, mes copains renchérissaient en me disant que c’était surtout Nathan qui apportait à ses camarades. Une fois une certaine principale a osé dire à Nathan qu’il coûtait cher à la société et qu’il devait en être digne. Vous imaginez comme j’ai aimé cet argument. Je lui ai juste répondu qu’il n’appartenait qu’à elle que les enfants de l’ULIS puissent apporter quoi que ce soit aux autres collégiens, mais que de les ranger au second sous sol de l’établissement n’allait pas dans ce sens. Au fond de moi, malgré ce calme en apparence, je lui souhaitais de mourir dans d’atroces souffrances.
J’avais fait de cet argument que Nathan pouvait rendre les gens meilleurs (il l’avait fait avec moi) mon cheval de bataille. Hélas certains soirs je me voyais plus en Don Quichotte du Val de Marne et mon cheval de bataille n’était pas plus vaillant qu’un roussin.
Ce que vous m’avez dit hier me guérit de cela. Je n’ai pas rêvé. Oui, Nathan a cette vraie valeur et il peut même être un exemple, être le jeune homme que j’aurais aimé qu’on me montre il y a cinq ou six ans pour me (re)donner de l’espoir les soirs de moindre forme. Un EXEMPLE.
Amicalement
Philippe De Jonckheere
Bon vous avez deviné maintenant, j’en suis sûr, la façon complexe avec laquelle cette parole de Macron résonne étrangement à mes oreilles.
Alors aujourd’hui, je voudrais crier ma colère à ce pauvre type, lui hurler que personne n’est jamais rien (même pas lui en somme). Que lui, pour pareillement raisonner, ne vaut rien , il vient de montrer sa limite et elle est immédiate, que lui ne m’apprendra jamais rien, si ce n’est que le mépris de classe de même que la connerie humaine peuvent donner une idée juste de l’infini. Oui, Macron, t’es insignifiant, tu ne m’apprendras jamais rien. Et tu n’apprendras jamais rien.
Au contraire de mon fils Nathan, qui, lui, m’a tout appris, a fait de moi un homme, un homme prêt à en découdre avec la complexité du monde, avec la complexité de l’humain, pas comme toi, peigne-cul !
#rien