Le Parti socialiste vient de se doter dâune nouvelle direction. Il est dit dâelle quâelle est « collective ». Câest lĂ un euphĂ©misme sur lequel peu de commentateurs se sont arrĂȘtĂ©s. DâoĂč tient-on quâautrefois cette direction nâĂ©tait pas « collective ». Câest tout le contraire. Il y a toujours eu un secrĂ©tariat national, un bureau national et ce nâest pas par hasard que le titre de « secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral » de la SFIO avait Ă©tĂ© transformĂ© en « premier secrĂ©taire » Ă la crĂ©ation du « nouveau PS » en 1971. Cela voulait dire de ce personnage quâil Ă©tait « premier parmi ses pairs ». Le rang de « premier » voulait signifier davantage lâordre de la file que la hiĂ©rarchie. En tout cas câĂ©tait lâidĂ©e. Mais naturellement ce premier avait un rĂŽle bien particulier et une autoritĂ© qui en rĂ©sultait : entraĂźner la file et donc la mettre en ordre. Certains socialistes avaient mĂȘme tirĂ© la conclusion que le premier secrĂ©taire devait nĂ©cessairement ĂȘtre le candidat Ă lâĂ©lection prĂ©sidentielle. Le raisonnement Ă©tait que, du jour oĂč cela cesserait, commencerait alors une Ăšre dâincertitude fondamentale sur le rĂŽle et lâidentitĂ© du parti lui-mĂȘme.
Finalement ce nâĂ©tait pas si faux. En tout cas, dire aujourdâhui que cette direction est « collective », ce nâest pas seulement dĂ©figurer le passĂ© du PS. Câest surtout annoncer quâil nây a plus de « premier de cordĂ©e ». Ce nâest donc pas une concession Ă je ne sais quel esprit « collectif », câest plutĂŽt une façon de tirer lâĂ©chelle. Le PS a toujours eu une direction collective mĂȘme si le collectif nâĂ©tait pas toujours Ă lâendroit que lâon croyait. Mais elle a toujours eu une tĂȘte pour incarner ce collectif. Dire quâil nây a plus de tĂȘte câest une autre maniĂšre de dire quâil nây a plus de collectif. Les 28 membres de ce « collectif » nâen forment pas un et il leur est impossible dâen constituer un. Et cela ne tient pas Ă la qualitĂ© des personnes mais Ă lâabsence de feuille de route. Le PS nâa plus de premier de cordĂ©e pour la raison quâil ne sait pas oĂč il va. Je ne le dis pas en considĂ©rant ce qui lui reste dâidĂ©ologie affichĂ©e. Sur ce plan tout a dĂ©jĂ Ă©tĂ© dit. Je le dis parce que le PS, en parti parlementaire, qui se gargarise si frĂ©quemment de sa vocation Ă « gouverner », ne peut se dĂ©finir ailleurs que dans la gĂ©ographie parlementaire. Et celle-ci ne connaĂźt que deux positions : la majoritĂ© gouvernementale oĂč lâopposition. Or, au moment dĂ©cisif du vote Ă lâAssemblĂ©e nationale, seuls cinq dĂ©putĂ©s socialistes ont votĂ© contre la confiance. Tout le reste sâest abstenu. Ceux-lĂ ont ainsi renoncĂ© Ă se dĂ©finir aux yeux de lâopinion quâils sont censĂ©s reprĂ©senter. Ă moins quâils ne les aient trahis une nouvelle fois.
Jâavais fait de cette question du vote de la confiance le « ticket dâentrĂ©e » pour ouvrir le dialogue politique que certains nous suggĂ©raient dâavoir avec le PS. Ce point ne fut pas relevĂ© tant il est devenu difficile aujourdâhui de percer le ronronnement moutonnier des Ă©ditorialistes. Dans ce domaine, des records ont Ă©tĂ© battus rĂ©cemment. Par exemple quand que le journal Les Ăchos se rĂ©fĂ©raient il y a encore un mois au « Front de gauche » qui a pourtant cessĂ© dâexister depuis deux ans ! Un sommet dans ce domaine vient encore dâĂȘtre atteint. En effet, quatre jours aprĂšs le vote sur la confiance, le journal « Le Monde » publie une interview bilan avec Jean-Christophe Cambadelis en passant tranquillement Ă cĂŽtĂ© des toutes les questions sur lâidentitĂ© politique du PS aprĂšs le dĂ©sastre.
Ainsi ne lui est-il posĂ© une seule question sur le changement de nom du groupe parlementaire PS. Il est devenu le groupe « nouvelle gauche » abandonnant sans crier gare lâidentitĂ© socialiste de sa prĂ©sence ! Aucune question sur le contenu du discours de son prĂ©sident Olivier Faure affirmant partager les grands objectifs du gouvernement. Ni sur lâabstention du groupe parlementaire du PS dans le vote sur la confiance Ă Ădouard Philippe. Dans la majoritĂ© ? Dans lâopposition ? Socialiste ou pas ? Telles sont les questions qui se posent concrĂštement. Le Monde ne sâen est pas inquiĂ©tĂ©. Une question demande pourtant « Est-il toujours possible, quand on est socialiste, de discuter avec MĂ©lenchon ? ». On devine sans peine le contenu mĂ©prisant de la question. Et surtout, on comprend que lâalternative suggĂ©rĂ©e, câest de discuter avec « dâautres », par exemple les macronistes. On comprend cela dâun journal qui nâa jamais reculĂ© devant aucun moyen pour nous flĂ©trir et dĂ©diaboliser le Front national.
Mais sâil sâagissait dâune dĂ©marche professionnelle, et non de parti-pris hargneux, on aurait pu sâattendre Ă entendre demander : « MĂ©lenchon a posĂ© comme condition du dialogue avec vous le refus de voter la confiance au gouvernement. Que lui rĂ©pondez-vous ? Le vote de votre groupe nâa-t-il pas fermĂ© la porte Ă ce dialogue ? » La question ne fut pas posĂ©e. La rĂ©ponse de CambadĂ©lis a donc pu dĂ©rouler ses refrains glauques sans ĂȘtre interrompue : « Câest de plus en plus difficile. Il mâa lâair de filer vers le gauchisme autoritaire et le populisme le plus Ă©chevelĂ©. » Bien sĂ»r, les interrogateurs complaisants se gardent bien de lui demander Ă quel moment ce fut « facile », et Ă quoi CambadĂ©lis se rĂ©fĂšre Ă propos de « gauchisme autoritaire ». Le lecteur qui a payĂ© 2,50 ⏠pour acheter ce journal est donc invitĂ© Ă penser que si le dialogue est impossible ce nâest pas Ă cause du refus du PS de se situer dans lâopposition au gouvernement Macron mais du fait de mon « gauchisme autoritaire » et de mon « populisme Ă©chevelĂ© » Ă propos desquels il ne recevra dâailleurs aucune prĂ©cision. Tel est le journalisme politique Ă cette heure.
Les habitudes mentales de la sphĂšre mĂ©diatique sont tellement enkystĂ©es que la signification essentielle du macronisme, et donc du type dâopposition quâil est contraint de recevoir, sont tout simplement ignorĂ©s. Pourtant câest si simple ! Au-delĂ des circonstances, usages, et institutions Ă©videmment diffĂ©rents dâun pays Ă lâautre, le macronisme incarne la ligne politique qui a triomphĂ© partout en Europe : la « grande coalition » entre la droite et le PS. En France, cette coalition nâa jamais pu se rĂ©aliser sous la forme dâune alliance de partis en bonne et due forme. Cela tient au fait que le PS comme la droite Ă©taient surplombĂ©s dâun « sur-moi », comme le disaient les commentateurs, sur sa gauche pour le PS sur sa droite pour la droite. La forme Macroniste de la « grande coalition », câest lâamalgame, dans un parti unique assumĂ©, des composantes de celle-ci.
« La rĂ©publique en marche » câest avant tout une coalition de personnes venant de LR et du PS entourĂ© de gens qui acceptent de les suivre. DĂšs lors ce quâil reste du PS et de la droite sont promis Ă une dynamique permanente de dissolution sur leurs flancs. Naturellement la situation nâest pas la mĂȘme pour la droite dans la mesure oĂč ses dĂ©putĂ©s restent nombreux et oĂč son influence sur la ligne gouvernementale est totale comme le montre lâidentitĂ© politique du Premier ministre venu de ses rangs. Pour le PS, effondrĂ© Ă©lectoralement, sans ligne fĂ©dĂ©ratrice, explosĂ© en bataille de chefs, et surtout flanquĂ© dâune alternative familiĂšre et attirante comme celle de « la France insoumise », la situation est bien diffĂ©rente. Câest pourquoi tous les responsables socialistes ont quand mĂȘme trouvĂ© un point commun. Ils psalmodient Ă lâunisson un mantra dĂ©sormais rituel : « ni Macron ni MĂ©lenchon » ! Mais la formule tient plus de lâexorcisme que de la ligne dâaction.
« Ni Macron ni MĂ©lenchon », on a dĂ©jĂ vu ce que cela donnait. CâĂ©tait la ligne de BenoĂźt Hamon en campagne prĂ©sidentielle et cela nâa convaincu que 6 % des Ă©lecteurs. Celui-ci persiste dâailleurs et assume toute la logique agressive et sectaire de la formule. Il va de soi, donc, que cette orientation destructrice reçoit tous nos encouragements. Bien sĂ»r, si Macron sâĂ©croule, le PS ira Ă la plus grande facilitĂ© : le retour dans lâopposition frontale. Alors nous aurons gagnĂ© la partie. Mais si Macron ne sâĂ©croule pas, le PS sera progressivement aspirĂ© dans le vortex macroniste. Et cela nous permettra de travailler plus confortablement Ă la construction dâune alternative politique libĂ©rĂ©e des tractations avec des gens incohĂ©rents.
Je le rĂ©pĂšte donc ici : le ticket du entrĂ©e du dialogue avec nous, câest le passage dans lâopposition au gouvernement Macron. Naturellement, il ne sâagit pas dâune opposition sur le style, le ton, lâĂ©quilibre dans la ligne du « gagnantâgagnant » ou du « ni ni », ces trous noirs du hollandisme qui ont progressivement privĂ© le PS de tout objectif discernable et de toute stratĂ©gie praticable. Il est clair Ă cette heure que le « ni Macron ni MĂ©lenchon » montre toute la profondeur de lâenracinement du hollandisme dans les habitudes mentales des dirigeants du PS. Faute de prĂ©senter ce ticket dâentrĂ©e, il ne peut ĂȘtre question de « discipline rĂ©publicaine » et autres supercheries telle que « vote utile », ni aucune des variantes de la « ligne Castor » oĂč il est question de « faire barrage à ⊠» des gens dont on reprend le reste du temps la ligne politique.
La question des alliances, des accords, des dialogues nâest donc pas posĂ©e aujourdâhui avec le PS non du fait de notre « populisme Ă©chevelĂ© » mais parce quâil est impossible de parler sĂ©rieusement avec quelquâun qui ne sait ni qui il est, ni oĂč il va. Il faut donc attendre avec patience que cette question soit tranchĂ©e par le prochain congrĂšs de cette organisation. Et dâici-lĂ , il faut cependant continuer Ă agir et Ă fĂ©dĂ©rer. Câest pourquoi la main reste tendue vers tous ceux qui veulent la saisir honnĂȘtement câest-Ă -dire sans commencer par des injures ou des mises Ă distance ou des prĂ©alables psychologisant sur ma personne qui bloquent ensuite toute discussion.
Quoi quâil en soit, nous continuerons Ă accueillir dans le cadre de « lâespace politique » de la France insoumise tous les groupements de militants qui souhaitent sâassocier Ă notre opposition au gouvernement sur la base du programme « LâAvenir en commun ». Nous le ferons sous le label dont nous proposons lâusage en commun : « La France insoumise ». Dâores et dĂ©jĂ , de nombreux et fructueux dialogues ont commencĂ© qui donneront peut-ĂȘtre bientĂŽt leurs fruits. Rien ne sert de se hĂąter et de prendre le risque le mal se comprendre. Je sais trop combien la logique qui est celle dâun « mouvement » nâest pas dans les rĂ©flexes intellectuels ordinaires des formations de gauche qui viennent Ă notre rencontre. Et je ne dis pas que nous ayons nous-mĂȘmes des rĂ©ponses aussi claires que nous-mĂȘmes nous le souhaiterions Ă bien des questions posĂ©es. Il faut accepter lâidĂ©e de tĂątonner. Les nuques raides du virilisme politique ne sont plus de saison.