marielle 🐱

« vivere vuol dire essere partigiani » Antonio Gramsci

    • « Ni Macron, ni MĂ©lenchon », le PS au stade suprĂȘme du Hollandisme

      Le Parti socialiste vient de se doter d’une nouvelle direction. Il est dit d’elle qu’elle est « collective ». C’est lĂ  un euphĂ©misme sur lequel peu de commentateurs se sont arrĂȘtĂ©s. D’oĂč tient-on qu’autrefois cette direction n’était pas « collective ». C’est tout le contraire. Il y a toujours eu un secrĂ©tariat national, un bureau national et ce n’est pas par hasard que le titre de « secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral » de la SFIO avait Ă©tĂ© transformĂ© en « premier secrĂ©taire » Ă  la crĂ©ation du « nouveau PS » en 1971. Cela voulait dire de ce personnage qu’il Ă©tait « premier parmi ses pairs ». Le rang de « premier » voulait signifier davantage l’ordre de la file que la hiĂ©rarchie. En tout cas c’était l’idĂ©e. Mais naturellement ce premier avait un rĂŽle bien particulier et une autoritĂ© qui en rĂ©sultait : entraĂźner la file et donc la mettre en ordre. Certains socialistes avaient mĂȘme tirĂ© la conclusion que le premier secrĂ©taire devait nĂ©cessairement ĂȘtre le candidat Ă  l’élection prĂ©sidentielle. Le raisonnement Ă©tait que, du jour oĂč cela cesserait, commencerait alors une Ăšre d’incertitude fondamentale sur le rĂŽle et l’identitĂ© du parti lui-mĂȘme.

      Finalement ce n’était pas si faux. En tout cas, dire aujourd’hui que cette direction est « collective », ce n’est pas seulement dĂ©figurer le passĂ© du PS. C’est surtout annoncer qu’il n’y a plus de « premier de cordĂ©e ». Ce n’est donc pas une concession Ă  je ne sais quel esprit « collectif », c’est plutĂŽt une façon de tirer l’échelle. Le PS a toujours eu une direction collective mĂȘme si le collectif n’était pas toujours Ă  l’endroit que l’on croyait. Mais elle a toujours eu une tĂȘte pour incarner ce collectif. Dire qu’il n’y a plus de tĂȘte c’est une autre maniĂšre de dire qu’il n’y a plus de collectif. Les 28 membres de ce « collectif » n’en forment pas un et il leur est impossible d’en constituer un. Et cela ne tient pas Ă  la qualitĂ© des personnes mais Ă  l’absence de feuille de route. Le PS n’a plus de premier de cordĂ©e pour la raison qu’il ne sait pas oĂč il va. Je ne le dis pas en considĂ©rant ce qui lui reste d’idĂ©ologie affichĂ©e. Sur ce plan tout a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dit. Je le dis parce que le PS, en parti parlementaire, qui se gargarise si frĂ©quemment de sa vocation Ă  « gouverner », ne peut se dĂ©finir ailleurs que dans la gĂ©ographie parlementaire. Et celle-ci ne connaĂźt que deux positions : la majoritĂ© gouvernementale oĂč l’opposition. Or, au moment dĂ©cisif du vote Ă  l’AssemblĂ©e nationale, seuls cinq dĂ©putĂ©s socialistes ont votĂ© contre la confiance. Tout le reste s’est abstenu. Ceux-lĂ  ont ainsi renoncĂ© Ă  se dĂ©finir aux yeux de l’opinion qu’ils sont censĂ©s reprĂ©senter. À moins qu’ils ne les aient trahis une nouvelle fois.

      J’avais fait de cette question du vote de la confiance le « ticket d’entrĂ©e » pour ouvrir le dialogue politique que certains nous suggĂ©raient d’avoir avec le PS. Ce point ne fut pas relevĂ© tant il est devenu difficile aujourd’hui de percer le ronronnement moutonnier des Ă©ditorialistes. Dans ce domaine, des records ont Ă©tĂ© battus rĂ©cemment. Par exemple quand que le journal Les Échos se rĂ©fĂ©raient il y a encore un mois au « Front de gauche » qui a pourtant cessĂ© d’exister depuis deux ans ! Un sommet dans ce domaine vient encore d’ĂȘtre atteint. En effet, quatre jours aprĂšs le vote sur la confiance, le journal « Le Monde » publie une interview bilan avec Jean-Christophe Cambadelis en passant tranquillement Ă  cĂŽtĂ© des toutes les questions sur l’identitĂ© politique du PS aprĂšs le dĂ©sastre.

      Ainsi ne lui est-il posĂ© une seule question sur le changement de nom du groupe parlementaire PS. Il est devenu le groupe « nouvelle gauche » abandonnant sans crier gare l’identitĂ© socialiste de sa prĂ©sence ! Aucune question sur le contenu du discours de son prĂ©sident Olivier Faure affirmant partager les grands objectifs du gouvernement. Ni sur l’abstention du groupe parlementaire du PS dans le vote sur la confiance Ă  Édouard Philippe. Dans la majoritĂ© ? Dans l’opposition ? Socialiste ou pas ? Telles sont les questions qui se posent concrĂštement. Le Monde ne s’en est pas inquiĂ©tĂ©. Une question demande pourtant « Est-il toujours possible, quand on est socialiste, de discuter avec MĂ©lenchon ? ». On devine sans peine le contenu mĂ©prisant de la question. Et surtout, on comprend que l’alternative suggĂ©rĂ©e, c’est de discuter avec « d’autres », par exemple les macronistes. On comprend cela d’un journal qui n’a jamais reculĂ© devant aucun moyen pour nous flĂ©trir et dĂ©diaboliser le Front national.

      Mais s’il s’agissait d’une dĂ©marche professionnelle, et non de parti-pris hargneux, on aurait pu s’attendre Ă  entendre demander : « MĂ©lenchon a posĂ© comme condition du dialogue avec vous le refus de voter la confiance au gouvernement. Que lui rĂ©pondez-vous ? Le vote de votre groupe n’a-t-il pas fermĂ© la porte Ă  ce dialogue ? » La question ne fut pas posĂ©e. La rĂ©ponse de CambadĂ©lis a donc pu dĂ©rouler ses refrains glauques sans ĂȘtre interrompue : « C’est de plus en plus difficile. Il m’a l’air de filer vers le gauchisme autoritaire et le populisme le plus Ă©chevelĂ©. » Bien sĂ»r, les interrogateurs complaisants se gardent bien de lui demander Ă  quel moment ce fut « facile », et Ă  quoi CambadĂ©lis se rĂ©fĂšre Ă  propos de « gauchisme autoritaire ». Le lecteur qui a payĂ© 2,50 € pour acheter ce journal est donc invitĂ© Ă  penser que si le dialogue est impossible ce n’est pas Ă  cause du refus du PS de se situer dans l’opposition au gouvernement Macron mais du fait de mon « gauchisme autoritaire » et de mon « populisme Ă©chevelĂ© » Ă  propos desquels il ne recevra d’ailleurs aucune prĂ©cision. Tel est le journalisme politique Ă  cette heure.

      Les habitudes mentales de la sphĂšre mĂ©diatique sont tellement enkystĂ©es que la signification essentielle du macronisme, et donc du type d’opposition qu’il est contraint de recevoir, sont tout simplement ignorĂ©s. Pourtant c’est si simple ! Au-delĂ  des circonstances, usages, et institutions Ă©videmment diffĂ©rents d’un pays Ă  l’autre, le macronisme incarne la ligne politique qui a triomphĂ© partout en Europe : la « grande coalition » entre la droite et le PS. En France, cette coalition n’a jamais pu se rĂ©aliser sous la forme d’une alliance de partis en bonne et due forme. Cela tient au fait que le PS comme la droite Ă©taient surplombĂ©s d’un « sur-moi », comme le disaient les commentateurs, sur sa gauche pour le PS sur sa droite pour la droite. La forme Macroniste de la « grande coalition », c’est l’amalgame, dans un parti unique assumĂ©, des composantes de celle-ci.

      « La rĂ©publique en marche » c’est avant tout une coalition de personnes venant de LR et du PS entourĂ© de gens qui acceptent de les suivre. DĂšs lors ce qu’il reste du PS et de la droite sont promis Ă  une dynamique permanente de dissolution sur leurs flancs. Naturellement la situation n’est pas la mĂȘme pour la droite dans la mesure oĂč ses dĂ©putĂ©s restent nombreux et oĂč son influence sur la ligne gouvernementale est totale comme le montre l’identitĂ© politique du Premier ministre venu de ses rangs. Pour le PS, effondrĂ© Ă©lectoralement, sans ligne fĂ©dĂ©ratrice, explosĂ© en bataille de chefs, et surtout flanquĂ© d’une alternative familiĂšre et attirante comme celle de « la France insoumise », la situation est bien diffĂ©rente. C’est pourquoi tous les responsables socialistes ont quand mĂȘme trouvĂ© un point commun. Ils psalmodient Ă  l’unisson un mantra dĂ©sormais rituel : « ni Macron ni MĂ©lenchon » ! Mais la formule tient plus de l’exorcisme que de la ligne d’action.

      « Ni Macron ni MĂ©lenchon », on a dĂ©jĂ  vu ce que cela donnait. C’était la ligne de BenoĂźt Hamon en campagne prĂ©sidentielle et cela n’a convaincu que 6 % des Ă©lecteurs. Celui-ci persiste d’ailleurs et assume toute la logique agressive et sectaire de la formule. Il va de soi, donc, que cette orientation destructrice reçoit tous nos encouragements. Bien sĂ»r, si Macron s’écroule, le PS ira Ă  la plus grande facilitĂ© : le retour dans l’opposition frontale. Alors nous aurons gagnĂ© la partie. Mais si Macron ne s’écroule pas, le PS sera progressivement aspirĂ© dans le vortex macroniste. Et cela nous permettra de travailler plus confortablement Ă  la construction d’une alternative politique libĂ©rĂ©e des tractations avec des gens incohĂ©rents.

      Je le rĂ©pĂšte donc ici : le ticket du entrĂ©e du dialogue avec nous, c’est le passage dans l’opposition au gouvernement Macron. Naturellement, il ne s’agit pas d’une opposition sur le style, le ton, l’équilibre dans la ligne du « gagnant–gagnant » ou du « ni ni », ces trous noirs du hollandisme qui ont progressivement privĂ© le PS de tout objectif discernable et de toute stratĂ©gie praticable. Il est clair Ă  cette heure que le « ni Macron ni MĂ©lenchon » montre toute la profondeur de l’enracinement du hollandisme dans les habitudes mentales des dirigeants du PS. Faute de prĂ©senter ce ticket d’entrĂ©e, il ne peut ĂȘtre question de « discipline rĂ©publicaine » et autres supercheries telle que « vote utile », ni aucune des variantes de la « ligne Castor » oĂč il est question de « faire barrage à
 » des gens dont on reprend le reste du temps la ligne politique.

      La question des alliances, des accords, des dialogues n’est donc pas posĂ©e aujourd’hui avec le PS non du fait de notre « populisme Ă©chevelĂ© » mais parce qu’il est impossible de parler sĂ©rieusement avec quelqu’un qui ne sait ni qui il est, ni oĂč il va. Il faut donc attendre avec patience que cette question soit tranchĂ©e par le prochain congrĂšs de cette organisation. Et d’ici-lĂ , il faut cependant continuer Ă  agir et Ă  fĂ©dĂ©rer. C’est pourquoi la main reste tendue vers tous ceux qui veulent la saisir honnĂȘtement c’est-Ă -dire sans commencer par des injures ou des mises Ă  distance ou des prĂ©alables psychologisant sur ma personne qui bloquent ensuite toute discussion.

      Quoi qu’il en soit, nous continuerons Ă  accueillir dans le cadre de « l’espace politique » de la France insoumise tous les groupements de militants qui souhaitent s’associer Ă  notre opposition au gouvernement sur la base du programme « L’Avenir en commun ». Nous le ferons sous le label dont nous proposons l’usage en commun : « La France insoumise ». D’ores et dĂ©jĂ , de nombreux et fructueux dialogues ont commencĂ© qui donneront peut-ĂȘtre bientĂŽt leurs fruits. Rien ne sert de se hĂąter et de prendre le risque le mal se comprendre. Je sais trop combien la logique qui est celle d’un « mouvement » n’est pas dans les rĂ©flexes intellectuels ordinaires des formations de gauche qui viennent Ă  notre rencontre. Et je ne dis pas que nous ayons nous-mĂȘmes des rĂ©ponses aussi claires que nous-mĂȘmes nous le souhaiterions Ă  bien des questions posĂ©es. Il faut accepter l’idĂ©e de tĂątonner. Les nuques raides du virilisme politique ne sont plus de saison.