Philippe De Jonckheere

(1964 - 2064)

  • Trois rêves, tous notés
    Une route, connue par cœur
    Accueilli par les étoiles

    Le silence des matins cévenols
    La lumière sur la montagne
    Et cet air, dont je suis déjà saoul après une nuit

    Peu de choses bougent
    Quelques insectes matinaux
    C’est bien tout. Oublie. Sois nu

    Route du contrejour vers les Vans
    Plateau ardéchois comme dans mes récits
    Je vis dans mes fictions

    Chaque virage, chaque arbre
    Chaque caillou, chaque pan de mur
    Contient son souvenir, certains lointains

    Chaque arbre, chaque caillou,
    Chaque pan de mur, Chaque virage
    Contient son souvenir, certains heureux

    Chaque caillou, chaque pan de mur,
    Chaque virage, chaque arbre,
    Contient son souvenir, certains tristes

    Chaque pan de mur, chaque virage,
    Chaque arbre, chaque caillou,
    Contient son souvenir, certains tendres

    Assis sur la margelle
    L’œil dans la vallée
    Les discussions mezzo voce

    Assis sur la margelle
    J’ai rendez-vous
    Avec une buse

    Passe la buse
    Passe Robert-le-Diable
    Passe un Rafale

    Quelques exemplaires d’ Une Fuite en Egypte
    Pour les amis d’ici, dont l’apiculteur
    Contre deux pots de miel, fameux troc

    La maison est défigurée
    Par les cris, les paroles, les balbutiements
    Et les pleurs d’une petite fille, Sara

    Est-ce que je peux vraiment
    Être à la fois un Grand-Père, Pépé
    Et un cœur brisé ?

    Premier endormissement de sieste,
    Le sentiment d’être un cachalot
    Qui retourne au fond de la mer

    Le courant d’air
    Qui vient caresser tes parties nues
    C’est agréable aussi

    Finalement ce qui rend une caresse
    Délicieuse, émouvante
    C’est sa surprise !

    Une sieste cévenole, la première
    En pleine chaleur, peut-elle laver
    À elle seule, la fatigue d’une année ?

    Un rêve, B.
    De la douceur
    Un espoir

    L’année durant tu rêves d’être assis
    À cette table sur ce vieux fauteuil
    À cette fenêtre, et écrire

    Tes vieux pieds nus
    Sur le plancher,
    Noirs de poussière, heureux !

    Ce moment de l’après-midi
    Quand la chaleur prend
    Le pouvoir en silence

    Tu entres dans la vieillesse
    Malgré tout, bien malgré toi
    Redresse-toi, sois digne !

    Ne pense plus
    Écris
    N’y pense plus

    Ne pense plus
    Ne pense plus à elle
    N’y pense plus

    Trente pages de Chevillard et ça repart !
    Minuit ne me doit rien
    Pour ce beau slogan publicitaire

    Puis ce sont les bourdons
    Et les gros coléoptères
    Qui prennent le pouvoir

    Puis les cigales qui ne le lâcheront plus
    Jusqu’au soir, quand elles seront renversées
    Par les étoiles et les chauves-souris

    Plus une seule distraction
    Et quelle ardeur au travail
    À écrire !

    Ça y est j’ai fini
    De me récurer le nez pour l’été
    L’air d’ici va le garder propre un mois

    Dans l’ancienne armoire
    Les jeux de société des années septante
    Un jour je serai seul à en connaître les règles

    J’installe une partie d’échecs
    Pour Émile qui busille dans le jardin
    En pleine chaleur, je prends les noirs

    Mon unique sténopé, au-dessus du lit
    Une nuit, la lune dessine une courbe
    Qui sort du cadre pour y retourner

    Parfois je ne crois pas mon correcteur
    Et je vérifie dans le dictionnaire papier
    Je suis bien du millénaire précédent, 1964

    Sténopé
    Et non sténopée
    Comme lycée

    Cherchant sténopé
    Je tombe sur sucer
    Soupir

    Va donc te jeter
    Dans l’eau froide
    De la Cèze !

    Dans le Rapport sexuel existe
    La dernière date est celle du 12 juillet
    Nous sommes le 13, changeons d’héroïne !

    Dans les Cévennes
    La seule application qui fonctionne
    C’est le traitement de texte

    C’est comme si
    J’avais emporté
    Une machine à écrire

    Dans le gourd
    L’eau fraîche
    S’y jeter sans réserve

    Immuable trou d’eau
    Immuable caresse de cette eau douce
    Immuables lumières de fin de jour

    Mais cette année
    Moins qu’une autre
    L’immuable ne me guérit de rien

    Voisinage bruyant d’une famille
    Incapable d’assister au spectacle
    Si médiocre soit-il, sans parler

    À chaque feu d’artifice
    Je pense à la faune alentour
    Terrorisée

    Mouvement de foule, Marseillaise
    Après le feu d’artifice, en route vers le bal
    Tous ces électeurs ! Tous ces veaux

    Pendant le bal
    J’observe le ciel
    Qui se repeuple

    Après les grands effets décoratifs
    Le placement sûr, discret et parfait
    Des étoiles dans le ciel

    Je me demande quel genre de retraite
    Coulent les musiciens de bal
    Qui m’ont fait danser ici adolescent

    Il n’y a plus de filtre à café
    L’immuable ne guérit pas tout
    La Marseillaise des veaux

    #mon_oiseau_bleu