enuncombatdouteux

NI ACTUALITÉS NI COMMENTAIRES, ..... DU COPIER-COLLER ET DES LIENS... Un blog de « curation de contenu » : 82 LIVRES , 171 TEXTES et 34 DOCUMENTAIRES :

  • Corbyn, la renaissance surprise du Labour

    http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/08/11/corbyn-la-renaissance-surprise-du-labour_5171230_3214.html

    Depuis les législatives du 8 juin, le dirigeant du Parti travailliste triomphe, prêt à remplacer la première ministre, Theresa May.

    Jeremy Corbyn est prêt. Prêt à négocier le Brexit, prêt à former un gouvernement. Bref, prêt à remplacer Theresa May à Downing Street. Pour la gauche britannique, qui avait fait son deuil d’un retour au pouvoir dans un avenir prévisible, les législatives du 8 juin ont sonné comme une divine surprise et pris des airs de triomphe.

    « Dans six mois, je serai premier ministre », a confié le chef du Labour à Michael Eavis, le directeur du festival de Glastonbury, grand rendez-vous estival de la scène alternative. Le 24 juin, un discours du vieux dirigeant y a attiré plus de jeunes branchés que le groupe Radiohead, la veille. « Oh, Jer-e-my Cor-byn », scandé au rythme du tube américain Seven Nation Army des White Stripes, en est devenu l’hymne.

    Sur les colliers, les T-shirts, les posters et les sculptures de sable, « Jeremy », 68 ans, était partout. Dirigé par une Theresa May en sursis, le pays prend désormais très au sérieux la possibilité que l’ancien permanent syndical, longtemps présenté comme un loser, se voie confier les clés du « number ten », le siège du gouvernement.

    Corbynmania ?

    D’ailleurs, l’intéressé reprendra sa tournée des circonscriptions dès la mi-août, prévoyant – et souhaitant – de nouvelles élections que les travaillistes pourraient gagner, selon les sondages. Pas un média qui ne s’interroge sur la Corbynmania, pas un politologue qui ne disserte sur la renaissance surprise du Labour.

    L’obscur député de Finsbury Park (nord de Londres), élu de l’aile gauche du parti depuis trois décennies, revient de loin. Voilà tout juste un an, au lendemain de la victoire du Brexit au référendum, les trois quarts des députés de son propre parti avaient voté une motion de défiance à son encontre, l’accusant d’avoir traîné les pieds pour défendre la ligne proeuropéenne du parti. Mais les adhérents de base, qui l’avaient élu une première fois à la surprise générale en septembre 2015, l’ont conforté.

    Partisan d’un grand retour de l’Etat pour lutter contre les inégalités, anti-establishment et sceptique sur l’Europe, sympathisant du Venezuela chaviste, Jeremy Corbyn évoque aujourd’hui une sorte de Jean-Luc Mélenchon britannique. A deux différences de taille près : il a été plébiscité à la tête du Parti travailliste, et se trouve aujourd’hui en position d’accéder au pouvoir.

    Car son programme, qui tourne résolument le dos au néolibéralisme du « New Labour » de Tony Blair, a drainé un nombre spectaculaire d’électeurs. Crédité de 28 % des voix au début de la campagne des législatives, en avril, le Labour de Corbyn en a rassemblé 40 % le 8 juin. Le meilleur résultat depuis M. Blair et la plus forte remontée d’une élection à l’autre depuis… Clement Attlee en 1945.

    Un programme centré sur les principaux problèmes sociaux

    L’un des partis progressistes les plus en difficulté d’Europe est devenu en quelques semaines l’un des espoirs de la gauche. La cote de popularité de son dirigeant, catastrophique à l’été 2016 (16 % contre 52 % à Theresa May), vient de dépasser celle de la première ministre (44 % contre 34 %) qui a perdu la majorité absolue au Parlement.

    « Avec Jeremy, quelque chose de vraiment nouveau est possible, pour une fois. Il est humain, proche des gens ordinaires. Ce n’est pas seulement un homme politique, c’est l’un d’entre nous », résume Louise Emmins, 37 ans, pour qui Jeremy Corbyn symbolise un double espoir : le maintien des allocations sociales pour son mari handicapé et la fin des études supérieures payantes pour leur fils. « Il est authentique, sage, constant. Il parle aux gens, pas à la presse, et donne envie de s’engager en politique », dit Wisam Wahab, un étudiant de 17 ans rencontré lui aussi lors d’un meeting.

    Les réunions de Jeremy Corbyn mêlent toujours deux publics : de vieux électeurs du Labour qui votaient en se bouchant le nez – ou ne votaient plus du tout – pendant les années Tony Blair, Gordon Brown et Ed Miliband, et des jeunes attirés par ce qu’ils perçoivent comme un programme résolument neuf : renationalisation des chemins de fer, fin de l’austérité avec relance des services publics et construction de logements sociaux financées par une hausse de l’impôt sur les sociétés, interdiction des « contrats de travail à zéro heure » sans salaire garanti.

    « For the many not for the few » (« pour le plus grand nombre, pas pour quelques-uns ») : ce slogan est la clé de voûte d’un programme centré sur les principaux problèmes sociaux – la précarité du travail, l’inaccessibilité des logements, le coût et l’inefficacité des transports, l’engorgement des hôpitaux et des écoles.

    « Il représente le changement »

    A l’instar de Jean-Luc Mélenchon, le chef de file de La France insoumise, ou de Bernie Sanders, le rival d’Hillary Clinton lors des primaires du camp démocrate américain, le vieux militant a trouvé le ton pour séduire en même temps les jeunes et les classes éduquées sans trop s’aliéner les électeurs des milieux populaires.

    Jeremy Corbyn « a réussi à rassembler les principales forces disponibles : le radicalisme anticapitaliste des jeunes, le culte bourgeois de l’authenticité et l’expression la plus crue des intérêts individuels », analyse John Gray, chroniqueur au New Statesman, un hebdomadaire de gauche. « Il représente le changement et pour bon nombre d’électeurs, cela suffit, quelle que soit la nature du changement », rétorque avec dépit Rod Liddle dans The Spectator, publication symétrique à droite qui compare son « populisme » à celui de Donald Trump.

    Les promesses de M. Corbyn, jugées impossibles à financer et démagogiques par les conservateurs, ont fait mouche, de même que son ambiguïté à propos du Brexit. Sachant que trois députés du Labour sur quatre sont élus dans des circonscriptions ayant voté pour la sortie de l’Union européenne en dépit de la consigne du parti, Jeremy Corbyn évite le plus possible d’aborder cet – énorme – sujet qui divise ses partisans. Stratégie gagnante : peu de « leavers » (pro-Brexit) travaillistes ont voté pour les europhobes du parti UKIP, et peu des « remainers » (pro-UE) ont fait défection en faveur des libéraux démocrates (LibDem) proeuropéens.

    Pour l’heure, le chef du Labour, longtemps objet du souverain mépris de Mme May, est en position de force. Les médias, où il se montre désormais très à l’aise, ont cessé de le snober. Dans le Financial Times, il évoque ses lectures de vacances, un essai sur Shelley, poète romantique aux idées révolutionnaires, son amour pour le vélo et pour son chat.

    Sur le Brexit, l’idole des jeunes joue l’ambivalence

    Augmentation du salaire des fonctionnaires, dénonciation de la dérégulation après l’incendie de la Grenfell Tower (au moins 79 morts à Londres le 14 juin), remise en cause des droits d’inscription universitaires… L’ex-outsider dicte désormais l’agenda politique à des Tories tétanisés. Theresa May lui doit probablement d’être maintenue pour l’instant au pouvoir : son éviction pourrait déboucher sur de nouvelles élections et un échec cuisant au profit du parti de M. Corbyn.

    Mais l’ambivalence de ce dernier sur le Brexit masque de moins en moins les fractures béantes du Labour sur le sujet. Comme Theresa May, le leader de gauche défend bec et ongles le Brexit et la sortie du marché unique européen, tout en promettant de négocier avec les Vingt-Sept pour obtenir le maintien du libre accès après la sortie de l’UE. Les élus Labour qui dénoncent le caractère irréaliste et démagogique de cette position sont mis à l’écart ou tancés par ses soins. Or, 66 % des adhérents du Labour sont favorables au maintien dans le marché unique.

    « Corbyn a passé sa vie à répéter que l’Europe était une partie du problème et non de la solution. Il voit le Brexit comme une chance de mettre en œuvre son programme socialiste radical de nationalisations, de retour des aides de l’Etat et de commerce administré », observe le journaliste Larry Elliott dans The Guardian.

    Bien des jeunes, furieux contre le Brexit, se sont mobilisés pour le Labour cette année, attirés aussi par sa promesse d’un retour à la gratuité de l’enseignement supérieur. Jeremy Corbyn leur doit en partie son extraordinaire remontée électorale. Que se passera-t-il lorsque, l’épreuve de vérité des négociations de Bruxelles aidant, le quiproquo sera levé et qu’ils s’apercevront que leur idole, par idéologie, s’accommode tout à fait du Brexit ?