Philippe De Jonckheere

(1964 - 2064)

  • Au saut du lit je note mes rêves en prose
    Puis, en vers, dans Mon Oiseau bleu
    Mais pour qui je me prends ?

    J’entame la lecture du livre de Nicolas Stephan
    De la violence dans les détails , hésitation :
    Dois-je écouter sa musique, ici ?

    Dans les Cévennes, je m’interdis
    D’écouter de la musique, et, de toute façon
    En ce moment je suis fâché avec la musique

    Dans les Cévennes je n’écoute pas de musique
    Mais j’écoute tous les petits bruits
    Dans la vallée, le matin, là, tout de suite

    Dans les Cévennes, je fuis les enregistrements
    Je n’écoute que de la musique fortuite
    Celle inattendue, tel Peter Handke

    http://www.desordre.net/bloc/ursula/2014/sons/jimi_hendrix.mp3

    Dans les Cévennes, il a trois ans
    Il y avait eu un concert de rock dans la vallée
    Des reprises de Hendrix, c’était très beau

    Dans les Cévennes je préfère rester
    Sur le seuil de l’église pour écouter,
    Entendre, le piano à bretelles

    Dans les Cévennes les ombres des nuages
    Sur les versants du Mont-Lozère
    Font office de partitions visuelles

    Dans les Cévennes
    La musique est considérée
    Comme un poison de la ville

    Pourtant, il y a vingt ans, cette maison
    A abrité un trombone, un violon, un alto
    Un violoncelle, une guitare et un théorbe

    Toute maison qui n’aurait pas un jour
    Abrité en son sein un théorbe
    N’est pas vivable

    Assez avec la musique !
    Il y a des légumes à éplucher
    Pour le pique-nique de ce midi

    Mes plus profitables leçons
    D’éclairage, je les tiens du soleil
    Dans cette vallée

    Ma plus profitable leçon
    D’éclairage : on peut tout faire
    Avec une seule source de lumière

    Puisque je dois mourir un jour
    Je souhaiterai que ce soit à cette table
    Devant cette fenêtre

    Comparant mes ampoules à des tendons d’Achille
    Zoé me resitue l’histoire d’Achille, oui, Marie
    La petite Zoé d’il y a cinq ans dans votre studio

    Pour m’occuper pendant que les enfants
    Feront de l’accrobranche j’emporte
    Le tapuscrit d’ Élever des chèvres en open space

    Le tapuscrit d’ Élever des chèvres en open space
    Le journal de la semaine dernière
    De la violence dans les détails de Nicolas Stephan

    Mes deux filles
    Leurs cheveux également attachés
    Pour affronter les tyroliennes

    Assis à la table de pique-nique
    Dans la forêt du Mas de l’Ayre
    J’écris à l’ombre de grands châtaigniers

    Ça y est, c’est fini
    Je ne touche presque plus
    À Élever des chèvres en open space

    Je reçois l’appel de Hanno
    A mon bureau en forêt !
    Il arrive demain

    Je rêve d’une telle table
    Une table sous un arbre
    Ce serait ma table d’ombre

    Je rêve d’une telle table
    Une table sous un arbre
    En parler à Daniel

    Je rêve d’une telle table
    Sur laquelle il neigerait en hiver
    Une table sur laquelle poser mes feuillets

    Je rêve d’une telle table
    Construite dans un bois
    Imputrescible

    Je rêve d’une telle table
    Qui, été après étés se souviendrait
    De ce que j’y ai écrit

    Je rêve d’une telle table
    Sur laquelle le vent
    Égarerait mes feuillets

    Je rêve d’une telle table
    Où les feuilles de mon arbre
    Dessineraient sur mes feuillets

    Je rêve d’une telle table
    Où j’abandonnerais tout un hiver
    Un tas de feuillets sous une lourde lauze

    Je rêve d’une telle table
    Où il pleuvrait tout l’hiver
    Sur une Remington rouillée

    C’est dimanche
    Octroie-toi le droit
    De ne pas poncer

    C’est dimanche
    Cumule les plaisirs
    Va nager !

    C’est dimanche
    Tu ponceras
    Demain

    Au pont, je croise une très jolie femme
    Nous nous sourions, tous les deux incapables
    De se souvenir d’où nous nous connaissons

    À la rivière la sensation heureuse
    De nager dans une mer de reflets sombres
    Huileux, froids et caressants

    Truite
    Riz
    Melon

    Décharge dans le dos
    La cruralgie reprend ses droits
    Et me foudroie, je suis alité

    Je lis en regardant les reflets
    S’assombrissant du crépuscule
    Sur les montants des fenêtres

    Je suis découragé à l’idée
    Qu’il faut aussi que je peigne
    Les montants des fenêtres

    Le comprimé que je devrais prendre
    Pour soulager mon mal de dos
    Tombe entre deux lames de parquet

    Tramadol qui tombe
    Entre deux lames de parquet
    Bonne nuit et fais de beaux rêves !

    #mon_oiseau_bleu