Philippe De Jonckheere

(1964 - 2064)

  • Tous les subterfuges sont bons
    Pour retarder la reprise du travail
    Je fais un long détour à pied

    Je fais un long détour à pied
    Même sous le crachin
    Je garde ma tête de cévenol encore quelques jours

    Mais mes pas sont impuissants
    À m’égarer complètement
    Et je finis par entrer dans l’immeuble

    Je suis assailli par mille souvenirs
    Notamment olfactifs, en redoutant
    Qu’ils ne viennent effacer ceux cévenols

    C’est donc ici ma place à nouveau
    Pour une nouvelle année ?
    Pour combien de nouvelles années ?

    J’estime être en droit
    D’attendre des réponses claires
    À ces deux questions

    Je bois
    Mon premier café
    De captivité

    J’avoue ne pas comprendre du tout
    La langue dans laquelle sont écrits
    Tous les mails reçus en mon absence

    Incroyable, à peine croyable
    Apparemment, je n’en reviens pas
    Je sais encore me servir d’un ordinateur

    Après une heure
    D’open space
    Une céphalée

    Après deux heures d’open space
    C’est comme si tout ce qui avait été pensé
    Patiemment dans les Cévennes, était anéanti

    Cela faisait longtemps
    Que tu n’avais pas écrit
    Des phrases comminatoires

    Harengs à l’huile
    Poivrons farcis au boulgour et pois
    Clafoutis aux prunes – café

    Rires et souvenirs cévenols
    Avec Clément et Juliette
    Dois-je vraiment retourner en open space ?

    Bref échange de messages textuels avec elle
    Et déjà des envies d’école buissonnière
    Dire que c’est de la sorte que les choses ont commencé

    Que
    Veut-
    –Elle ?

    Et
    Qu’est-ce
    Je veux ?

    Pourrait-on
    Vouloir
    La même chose ?

    Que veut-elle ? ― aucune idée
    Et qu’est-ce que je veux ? ― pas bien sûr
    Pourrait-on vouloir la même chose ? ― j’en doute

    Aucune idée
    Pas bien sûr
    J’en doute

    Le bilan de la première journée
    D’open space est maigre, si ce n’est
    Céphalée, douleur dans le poignet

    Ce n’est pas facile
    Tous les jours
    La vie de poète

    Et avec horreur
    Je constate qu’après une journée d’open space
    Je n’ai envie de rien en particulier

    En une seule journée d’open space
    Avoir annihilé des ressources
    Patiemment amassées pendant un mois

    Des fois ce n’est que cela
    Attendre patiemment devant l’écran
    Et attraper le poème au vol

    Dans une petite rue de Montreuil
    Un jeune homme fume son narguilé
    Avec un serpent en écharpe

    Deux rues plus loin
    Une clocharde fait du scandale
    Et insulte qui passe

    Rue Marceau
    Toute une école
    A été détruite

    Je ne suis pas sûr
    De disposer des forces nécessaires
    À une telle vie, à un tel retour

    J’ai envie de faire
    De nouvelles choses
    Pour cela que je range le garage

    J’ai envie de faire de nouvelles choses
    Pour cela que je m’achète
    Un nouvel ordinateur

    L’ Amoxiciline
    Laisse derrière elle
    D’impressionnants sillons de fatigue

    #mon_oiseau_bleu