• Olivier Crasset, La santé des artisans. De l’acharnement au travail au souci de soi
    http://lectures.revues.org/23454

    Le point de départ de l’ouvrage est un paradoxe statistique : dans les enquêtes quantitatives, les artisans apparaissent en meilleure santé que les salariés partageant des situations professionnelles, et donc des conditions de travail, similaires, et ce toutes choses égales par ailleurs. Olivier Crasset montre cependant que les problèmes de santé des artisans sont massivement sous-évalués par ces enquêtes déclaratives, à la fois pour des raisons économiques liées au statut d’indépendant et pour des raisons sociologiques liées à la culture somatique propre aux artisans.

    L’approche a l’air à la fois classique (dans la droite ligne des travaux de Boltanski) et féconde :

    Les artisans sont nombreux à refuser les soins et repousser ou écourter les arrêts maladie. Cela pourrait être interprété comme un désintérêt de leur part pour leur santé, ce que font parfois les professionnels de santé ; il s’agit en fait d’une façon particulière de gérer leur capital corporel dans un contexte de travail où le corps est leur premier outil. Ces comportements s’expliquent tout d’abord par des raisons économiques. Olivier Crasset identifie ce qu’il appelle un rapport biologico-économique de l’artisan à son entreprise. La santé financière de l’entreprise conditionne la possibilité pour l’artisan de refuser les travaux les plus pénibles ou d’améliorer ses conditions de travail et, inversement, un capital corporel important et bien entretenu sous-tend la capacité de l’entreprise à dégager du bénéfice. Les conditions économiques (intensité de la concurrence, niveau de la demande, facilité du crédit bancaire) influencent donc directement la santé des artisans et leur capacité à s’épargner. Deuxièmement, les artisans partagent dans leur ensemble un habitus caractéristique des classes populaires, structuré par un ethos de l’effort et un rapport instrumental au corps1. Il s’agit alors de « tirer » sur le corps, de l’utiliser jusqu’à ses limites, en s’arrêtant juste avant qu’il ne devienne inutilisable et que cela ne mette en péril la viabilité de l’entreprise. Cet ethos de l’effort va parfois jusqu’à des comportements proches d’une consommation ostentatoire du capital corporel : Olivier Crasset décrit chez les jeunes apprentis et artisans des démonstrations de force inefficaces du point de vue professionnel, mais dont le but est d’affirmer la place de l’individu dans ce groupe social (ainsi des jeunes ferronniers battant des métaux pas assez chauds pour être totalement malléables).

    #sociologie #corps #santé #travail