• Deux #citations sur les #murs tirées du #livre #Double_nationalité de #Nina_Yargekov :

    « Le Mur qui coupait l’Europe en deux c’était injuste. Le Mur à la frontière serbe en revanche c’est bien, voilà une opportune ligne de démarcation pour qu’on puisse aisément repérer le tracé de l’Union européenne. Et cela ne coupe pas l’Europe en deux puisqu’au-delà de l’Union européenne ce n’est plus l’Europe évidemment, mais une sorte de résidu géographique, des confins, des marges, on s’en fiche. En somme, toute analogie entre les deux Murs serait entachée de mauvaise foi. La preuve, le nouveau est situé à un autre endroit que l’ancien. Quelle chance, du coup on est content, on se prélasse, on se trémousse, depuis le temps qu’on rêvait d’être du bon côté. Mais ça c’est un secret. Officiellement, le Mur est une rassurante protection. Parce que ces migrants, leur culture ici ça n’ira pas. Leur culture, au singulier, car ils ont tous la même n’est-ce pas. La Palestine, l’Afghanistan, la Syrie, l’Erythrée, c’est pareil, non ? En tous les cas ce n’est pas l’Europe. Or la culture européenne ne doit pas changer. Elle doit rester telle qu’elle est. Intacte, dans son joli écrin doré. Sous verre. Qu’on la fige, qu’elle ne bouge plus. Sinon c’est la fin du monde. Une si belle culture, qui n’a jamais engendré ni guerres, ni massacres, ni génocides. On n’est pas au Rwanda ici ».

    Nina Yargekov, Double nationalité, P.O.L., 2016, pp.623-624.

    « Vous lisez des articles, vous regardez des photographies. Le choc migratoire : il y a réellement des gens désireux de venir en Hongrie. Vous les voyez, ils sont derrière le grillage, ils serrent le grillage avec leurs mains, cela ne peut être une mise en scène, ils voudraient passer de l’autre côté. Et on les empêche. Un Mur se dresse face à eux. Ou s’ils arrivent à entrer, on les met dans un camp. Un camp ? en Hongrie ? Vous secouez la tête, ce n’est pas possible pas possible pas possible un camp en Hongrie ce n’est pas possible, vous êtes cartésienne les trucs paranormaux très peu pour vous. Le camp en question fort heureusement se trouve assez lion de Budapest dès lors vous parvenez à faire abstraction, vous l’éloignez, vous le repoussez en dehors du champ de votre conscience. Mais le Mur.
    Vous restez longtemps sans bouger, fixant l’écran devant vous. S’il avait fallu lancer des paris, vous auriez tout misé sur le fait qu’un pays qui dans le passé a souffert d’un Mur est absolument immunisé contre l’idée d’en construire un nouveau. Que quand on a connu le confinement, l’isolement, l’exclusion, on ne peut une seconde envisager d’ériger un Mur. Qu’il faudrait être fou, qu’il faudrait être malade. Une ravissante théorie, laquelle toutefois rate piteusement son examen d’entrée dans la réalité. Puisque le Mur existe. Vous regardez votre plafond qui est si haut, vous regardez vos propres murs, de gentils murs d’habitation, des murs qui vous protègent. Et subitement vous avez une révélation, c’est une revanche, c’est une revanche, mais évidemment. Vous avez été du mauvais côté du Mur, du côté pourri pendant si longtemps. Et là ce nouveau Mur, c’est un Mur qui vous place du bon côté. Pour aller vite, c’est un peu réducteur sans doute, cependant c’est ça, oui c’est ça, les Murs ont toujours un côté orage et un côté soleil, un côté émigration et un côté immigration, un côté on est dans la merde noire et un côté tralalala qu’est-ce qu’on est bien ici, et ce nouveau Mur c’est pour le plaisir, la jouissance d’être enfin, enfin du côté enviable, du côté gagnant, du côté occidental. Le désir, le plaisir, vous le comprenez. Mais n’y avait-il pas d’autres moyens ? Le théâtre, la poésie, le cinéma ? Il y a quantité de façons de vivre ses fantasmes sans importuner le monde. Tout en vous l’énonçant vous réalisez que c’est précisément cela qui vous effraie, qui vous terrorise, même, en effet vous avez l’impression que ce Mur est l’incarnation d’un fantasme géant, qu’il est obscène, pornographique, que quelqu’un quelque part a oublié de se censurer, perdant de vue qu’il y a des trucs qu’on fait dans sa tête et d’autres qu’on fait dans le réel, et qu’il est judicieux d’essayer, dans la mesure du possible, de ne pas mélanger les deux ».

    Nina Yargekov, Double nationalité, P.O.L., 2016, pp.508-509.

    #frontières #barrières_frontalières #histoire #guerre_froide

    • Nina Yargekov Double Nationalité

      Nina Yargekov Double Nationalité éditions P.O.L : où Nina Yargekov tente de dire de quoi et comment est composé son livre « Double Nationalité », et où il est notamment question d’amnésie et d’identité, de France et de Hongrie, de #bilinguisme et de double identité, de prostitution et de guerre d’Algérie, de Transylvanie et du métro Charonne, à l’occasion de la parution de « Double Nationalité » aux éditions P.O.L, à Paris le 29 août 2016

      https://www.youtube.com/watch?v=uPdCR8Wh3Rc