enuncombatdouteux

NI ACTUALITÉS NI COMMENTAIRES, ..... DU COPIER-COLLER ET DES LIENS... Un blog de « curation de contenu » : 82 LIVRES , 171 TEXTES et 34 DOCUMENTAIRES :

  • Le savoir en voie de confiscation par les éditeurs

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/09/26/le-savoir-en-voie-de-confiscation-par-les-editeurs_5191764_1650684.html

    Les revues scientifiques monnaient très cher l’accès à leurs contenus. Ce modèle est très critiqué. Troisième volet de notre dossier « Publier ou périr », en collaboration avec « Le Temps ».

    A qui la connaissance scientifique appartient-elle ? Aux chercheurs qui la produisent ? Au public qui la finance par ses impôts ? Ni à l’un ni à l’autre : elle est avant tout la propriété d’éditeurs, qui publient les résultats issus de la recherche dans des revues spécialisées… et veillent jalousement sur leur diffusion. Malgré les critiques dont ce système fait l’objet, des modèles alternatifs peinent encore à s’imposer.

    Traditionnellement, les revues spécialisées qui publient les études scientifiques financent leur travail d’édition par la vente d’abonnements. Problème : ce modèle restreint beaucoup l’accès aux connaissances. « Il m’arrive de ne pas pouvoir lire un article intéressant, parce qu’il a été publié dans une revue à laquelle mon université n’est pas abonnée. Et la situation est encore bien pire pour les chercheurs des pays moins riches. Sans parler de tous les autres membres de la société que ces résultats pourraient intéresser, mais qui en sont privés : enseignants, créateurs de start-up, membres d’ONG… », s’agace Marc Robinson-Rechavi, chercheur en bio-informatique à l’université de Lausanne.

    Le système actuel est par ailleurs très coûteux. « Les contribuables paient trois fois pour chaque article scientifique. D’abord, en rémunérant le chercheur qui fait les expériences. Ensuite, en s’acquittant des frais d’abonnement aux revues. Et parfois encore une fois, pour offrir un libre accès au ­contenu de l’article », s’insurge le président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), Martin Vetterli. Les frais pour les bibliothèques augmentent de 8 % en moyenne par année, d’après la Ligue européenne des bibliothèques de recherche.

    De fait, la publication scientifique est un business extrêmement rentable pour les géants du domaine, Elsevier, Springer Nature et Wiley, dont les marges dépassent souvent les 30 %, dans un marché estimé à près de 30 milliards de dollars (25 milliards d’euros).

    Un modèle d’édition alternatif a émergé voilà une vingtaine d’années : celui de l’accès ouvert (ou « open access »). Le plus souvent, les frais d’édition et de diffusion de chaque article sont payés en une seule fois à l’éditeur, par l’institution scientifique du chercheur. Les articles sont alors accessibles gratuitement.

    Des articles en accès ouvert

    De nombreux journaux en accès ouvert existent désormais. Certains sont largement reconnus pour la qualité de leur travail, à l’image du pionnier américain PLOS (ou Public Library of Science), à but non lucratif. Assez variables, les coûts de publication par article sont compris entre 1 000 et 5 000 euros en moyenne. Ce mode d’édition n’interdit donc pas les ­bénéfices pour l’éditeur. Pourtant, seuls 30 % environ des articles sont actuellement publiés en accès ouvert. Un semi-échec qui s’expliquerait par le conservatisme du milieu, estime Marc Robinson-Rechavi : « Les journaux anciens sont davantage pris en compte dans la promotion des carrières. Il faudrait que les chercheurs soient incités à changer d’état d’esprit. »

    Justement, la Commission européenne a décidé que, d’ici à 2020, toutes les études publiées par des scientifiques qui reçoivent de l’argent européen devront être diffusées en libre accès. « En France, on va aussi vers un renforcement de la publication en accès libre », affirme Marin Dacos, fondateur du portail français de diffusion de sciences humaines et sociales OpenEdition, chargé d’un plan sur la science ouverte auprès du ministère français de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

    Certaines institutions scientifiques sont entrées en résistance. En Allemagne, plusieurs dizaines d’universités et bibliothèques sont en plein bras de fer avec le géant néerlandais Elsevier, pour obtenir de meilleures conditions d’accès aux articles publiés par leurs propres chercheurs. Elles menacent de ne pas renouveler leurs abonnements à la fin de l’année. Une telle stratégie avait déjà permis à l’association des universités néerlandaises d’obtenir des concessions de la part d’Elsevier il y a deux ans. Des mouvements analogues se retrouvent aussi en Finlande et à Taïwan, notamment.

    Ce n’est sans doute pas un hasard si ce vent de rébellion souffle aujourd’hui : outre le ras-le-bol lié à une situation qui perdure, l’apparition en 2011 du site pirate Sci-Hub pèse dans la balance. Opérant depuis la Russie, il offre l’accès gratuitement à plusieurs dizaines de millions d’études et de livres scientifiques. Une pratique certes illégale, et déjà condamnée aux Etats-Unis après une plainte d’Elsevier en juin, mais qui garantit que les chercheurs continueront d’avoir accès à une bonne part de la littérature scientifique, quel que soit le résultat des négociations avec les maisons d’édition.

    De petits malins ont également profité du mouvement de l’open access pour s’enrichir en créant des revues présentant toutes les apparences du sérieux. Les honoraires sont raisonnables. Le chercheur se laisse convaincre. Sauf qu’en fait, le journal n’existe pas. Ou alors, il est beaucoup moins coté que ce qu’il prétend. Ou encore, il est de piètre qualité. Ces journaux dits « prédateurs » seraient au nombre de 8 000, publiant environ 400 000 articles chaque année, selon une étude parue en 2015 dans BMC Medicine.

    Est-on arrivé à un point de bascule ? Martin Vetterli veut y croire : « Le monopole des éditeurs traditionnels va finir par tomber, à part peut-être pour certains titres très prestigieux comme Science et ­Nature, qui valent aussi pour leur travail de sélection. » Marin Dacos est également optimiste et explore de nouveaux modèles, dans lesquels les auteurs ou leurs institutions n’auront plus besoin de payer les frais d’édition de leurs articles, pourquoi pas grâce à une forme de financement participatif mobilisant les bibliothèques.

    C’est ce que, depuis 2015, l’Open Library of Humanities propose en publiant de la sorte dix-neuf journaux en sciences humaines et sociales. Et c’est la voie choisie par un groupe de mathématiciens qui viennent de lancer Algebraic combinatorics, en démissionnant avec fracas d’un titre de la galaxie Springer cet été. Le nouveau venu suit les principes de la Fair Open Access Alliance. « Ces principes sont notamment un accès ouvert aux articles, l’absence de frais de publication pour les auteurs, la non-cession des droits d’auteur à l’éditeur… », indique Benoit Kloeckner, professeur de mathématiques à l’université Paris-Est et coauteur de cette charte avec une poignée de collègues. « Pour l’instant, il s’agit du seul journal à les suivre, mais nous allons montrer que cela peut marcher. »