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NI ACTUALITÉS NI COMMENTAIRES, ..... DU COPIER-COLLER ET DES LIENS... Un blog de « curation de contenu » : 82 LIVRES , 171 TEXTES et 34 DOCUMENTAIRES :

  • « Certaines dérives font réfléchir sur l’état de la science dans le monde »

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/09/26/certaines-derives-font-reflechir-sur-l-etat-de-la-science-dans-le-monde_5191

    Pour Mario Biagioli, historien des sciences et juriste, la course à la publication, devenue le cœur du système d’évaluation de la recherche, incite les chercheurs à l’inconduite.

    Mario Biagioli est historien des sciences et juriste à l’université de Californie à Davis. Avec Alexandra Lippman, il a organisé un colloque en février 2016, « Jouer avec les métriques : innovation et surveillance dans les inconduites scientifiques ». En 2018, un livre édité par MIT Press réunira diverses contributions de ce colloque.

    Que signifie aujourd’hui publier un article ?

    Longtemps, publier un article était une manière de diffuser un cours ou bien servait à l’archiver en faisant le point d’une connaissance. Il était destiné en priorité à ses pairs.

    Puis après la seconde guerre mondiale, la scientométrie se développe, avec une vision plus quantitative qui s’intéresse notamment aux citations mentionnées à la fin des articles. C’est un outil qui sert à des spécialistes pour étudier l’apparition de paradigmes en science, ou les réseaux sociaux de chercheurs.

    Enfin, depuis quelques dizaines d’années, l’article a changé encore de nature : il est devenu la base de l’évaluation des chercheurs, de leurs institutions ou d’un pays… Les métadonnées comme « qui publie ? », « avec qui ? », « où ? » comptent plus que le contenu de l’article lui-même ! C’est un énorme changement.

    Avec quelles conséquences ?

    Les défauts des métriques reposant sur les métadonnées, comme le facteur d’impact, sont connus. Ce ne sont en général pas de bonnes mesures de la qualité d’une recherche. Malheureusement, comme pour toute évaluation quantitative, les acteurs sont incités à « jouer avec les métriques » afin d’obtenir les meilleurs scores.

    En outre, le colloque que nous avions organisé en février 2016, a montré qu’il y a une connexion entre le développement des métriques et celui des atteintes à l’intégrité scientifique. Les métriques incitent à l’inconduite. Le traditionnel publish or perish (« publier ou périr ») est devenu impact or perish (« avoir de l’impact ou périr »). Ce n’est pas de la fraude au sens classique mais ce n’est pas bon pour la confiance dans les travaux publiés.

    A quelles inconduites pensez-vous ?

    Certains les ont baptisées « inconduites post-production », car elles ne consistent pas à manipuler le contenu de l’article mais le processus de publication. Par exemple, plus de 300 articles ont été retirés pour « fausse revue par les pairs ». Des auteurs soumettent un article à un journal, qui leur demande, comme cela se fait parfois, s’ils ont des noms d’évaluateurs (referee en anglais) à suggérer. L’auteur indique des vrais noms de referees, souvent célèbres, mais donne de faux emails qui feront tomber en réalité les courriers dans sa boîte aux lettres. Ainsi l’auteur réalisera l’évaluation de son propre article.

    Des cartels d’évaluateurs ont aussi été découverts, c’est-à-dire des auteurs qui s’évaluent les uns les autres et, bien sûr, se citent mutuellement afin d’augmenter leur impact. Même des journaux le font entre eux. Ce n’est pas éthique et ne sert qu’à manipuler les métriques afin d’embellir son CV.

    Que pensez-vous de l’apparition des journaux « prédateurs », qui publient sans scrupule des travaux en prélevant des frais aux auteurs ?
    C’est critiquable bien sûr, mais tout le monde voit bien que c’est mal. Une grande productivité est attendue de tous les chercheurs, quel que soit leur pays, qu’ils parlent bien ou mal anglais, que leur laboratoire soit prestigieux ou non, ou quel que soit le budget dont ils disposent. Ces journaux prédateurs sont de très faible qualité, souvent même inacceptables, mais visiblement il y a un marché pour eux. Si des chercheurs y publient, c’est qu’ils y ont un intérêt. C’est le reflet d’une dure réalité économique. Dans l’automobile, certains roulent en Ferrari et d’autres en Fiat et nous observons la même chose en recherche. Ne soyons donc pas moralistes trop vite. Ces dérives font réfléchir sur l’état de la science dans le monde.

    Comment sortir de cette situation ?

    Il sera difficile de stopper ce mouvement car tout le monde joue avec les métriques, qui accompagnent aussi le développement de la globalisation de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les universités, certes piégées par ces métriques, auront un rôle à jouer, par exemple en changeant leurs pratiques. La faculté de médecine de l’université de Harvard demande par exemple à ses candidats de fournir leurs articles préférés et d’argumenter sur l’apport qu’ils représentent, plutôt que de donner une liste quantitative de publications dans les grands journaux.

    Nous voyons aussi émerger des initiatives positives comme le développement de journaux en accès libre, le dépôt de certains articles dans des archives, des commentaires ouverts après parution. Peut-être verrons-nous la disparition des journaux tels que nous les connaissons…

    Mais je suis historien et je sais qu’on ne sait pas prédire. Les problèmes risquent d’empirer au point que des changements deviendront obligatoires.