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      Pesticides « tueurs d’abeilles » : une nouvelle couleuvre majeure pour Nicolas Hulot ?
      Coralie Schaub, Libération, le 19 octobre 2017
      http://www.liberation.fr/france/2017/10/19/pesticides-tueurs-d-abeilles-une-nouvelle-couleuvre-majeure-pour-nicolas-

      Un nouveau pesticide neonicotinoïde, le sulfoxaflor, vient d’être autorisé en catimini en France, vidant leur interdiction de sa substance. Leur toxicité est pourtant en cause dans l’effondrement des populations d’insectes, et leurs effets nocifs sur la santé humaine inquiètent.

      C’est une nouvelle bombe dans le dossier décidément ultra-explosif des pesticides. Pendant que tous les projecteurs sont braqués sur le glyphosate, la très toxique substance active de l’herbicide Roundup de Monsanto qui doit être réautorisée (ou pas) dans l’Union Européenne, les industriels n’oublient pas d’avancer leurs pions sur les tout aussi toxiques néonicotinoïdes, une autre famille de pesticides dits « tueurs d’abeilles », et dont l’impact sur notre santé inquiète de plus en plus. Et ils viennent de remporter une victoire majeure, mettant dans l’embarras le ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot.
      Interdiction des néonicotinoïdes « vidée de sa substance »

      L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement, et du travail (Anses), a en effet autorisé en septembre la mise sur le marché en France de deux pesticides (le Closer sur plusieurs fruits, légumes et plantes vertes, et le Transform sur des céréales à paille et sur le lin) contenant du sulfoxaflor, une molécule produite par l’entreprise américaine Dow AgroSciences. Or, mine de rien, ces deux autorisations « vident de sa substance l’interdiction des néonicotinoïdes » à partir du 1er septembre 2018 prévue par la loi sur la biodiversité de 2016 (un engagement que le candidat Macron avait pourtant promis de maintenir), s’alarment les apiculteurs de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf). Ces derniers ont découvert l’affaire mardi, au détour d’un rendez-vous à l’Anses pour faire le point sur cette interdiction.

      « C’est extrêmement grave, nous sommes révoltés, abasourdis, assommés », a lancé Gilles Lanio, le Président de l’Unaf, jeudi matin, lors d’une conférence de presse prévue de longue date pour alerter une énième fois sur une année catastrophique pour les abeilles (la récolte de miel en 2017 est à nouveau inférieure à 10 000 tonnes) et présenter un rapport très complet, détaillant comment les butineuses sont toujours largement exposées aux néonicotinoïdes, encouragés par le système agricole français.

      Et Gilles Lanio de s’expliquer : « A notre grande surprise, nous avons appris avant-hier qu’on va a priori arrêter l’usage des néonicotinoïdes, mais qu’on va les remplacer par un nouveau néonicotinoïde, le sulfoxaflor ! On nous dit : "C’est vrai, c’est un neurotoxique, il agit de la même façon, mais ça n’est pas un néonicotinoïde." C’est faux ! On se moque de nous, je n’en reviens pas. C’est scandaleux, honteux et irresponsable. Cela s’est fait en catimini, je ne sais pas qui a fait ce coup-là, mais c’est pas mal… »
      « Hautement toxique pour les abeilles »

      L’astuce est bien trouvée. Comme le fait Dow AgroSciences, il suffit de nier le fait que le sulfoxaflor est un néonicotinoïde, puisque ces derniers ont désormais mauvaise presse. Omniprésents dans l’environnement et dans le corps humain (leurs effets sur le développement du cerveau, en particulier des enfants, inquiètent notamment de plus en plus), ils sont aussi présents dans 75% des miels produits dans le monde. Et ce sont eux qui seraient les principaux responsables de l’effondrement de 80% en trente ans des populations d’insectes en Europe, comme le suggère une étude publiée mercredi dans la revue PLoS One.

      Pourtant, « plusieurs publications scientifiques établissent que le sulfoxaflor appartient bien à la famille des néonicotinoïdes », insiste l’UNAF. Dans un avis rendu en mai 2014, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui n’est pourtant pas connue pour être alarmiste (et c’est un euphémisme), a qualifié l’insecticide de « hautement toxique pour les abeilles ». Et en septembre 2015, une décision de justice américaine, annulant l’autorisation du sulfoxaflor à la demande d’apiculteurs et d’ONG, lui reconnaissait aussi l’appartenance à la famille des néonicotinoïdes.

      Gilles Lanio ne décolère pas : « On alerte l’Anses sur les dangers de cette molécule depuis 2015, ils nous ont dit : "Ne vous inquiétez pas, on ne va pas l’autoriser, et de toute façon on vous tiendra informés." On leur a reposé la question il y a quelques mois, tout allait pour le mieux. Et là, on apprend que l’affaire est passée en catimini. L’Anses avait aussi la possibilité de lancer une consultation du public sur le sujet, elle ne l’a pas fait. C’est scandaleux, triste, pitoyable. »

      L’Unaf s’inquiète aussi du fait que le sulfoxaflor soit mis sur le marché alors qu’aucune étude n’a été menée sur sa teneur dans les pollens et nectars des fleurs. Or, avance le syndicat d’apiculteurs, cette molécule a toutes les chances de s’y trouver, puisqu’elle est systémique, comme les autres néonicotinoïdes : une fois absorbée par la plante, elle circule jusque dans sa fleur. Comme elle a une longue persistance dans la plante, on pourrait même en retrouver des résidus dans les récoltes.
      « Double langage »

      « Plus de vingt ans après l’arrivée des néonicotinoïdes en France en 1994, on continue de les homologuer à la légère en disant : "On verra bien après !", s’insurge Henri Clément, le porte-parole de l’Unaf. On mettra ensuite dix ou quinze ans à retirer ces produits toxiques et pendant ce temps, chaque année, il y aura 300 000 à 400 000 colonies d’abeilles qui mourront, sans compter l’impact sur les eaux, les pollinisateurs, etc. »

      L’affaire est d’autant plus scandaleuse, selon lui, « qu’on est toujours dans le double langage. D’un côté le gouvernement dit : "On préserve l’environnement, les abeilles, on prend soin de la nature et de votre santé", et puis, par-derrière on poursuit cette politique d’agrochimie, avec tous les impacts qu’elle peut avoir sur le plan environnemental, de la santé etc. C’est inacceptable, pitoyable, pathétique et irresponsable, c’est un manque de courage des pouvoirs publics qui est lamentable, un manque de responsabilité vis-à-vis de l’avenir et des générations futures ».
      « En démocratie, ce ne sont pas les lobbys qui gouvernent »

      L’Unaf demande à obtenir les données sur lesquelles s’est basée l’Anses pour autoriser les produits Closer et Transform. Et demande à ce que le sulfoxaflor – ainsi qu’un autre « néonic » non encore autorisé, le flupyradifurone – « soient intégrés de toute urgence dans le projet de décret définissant les substances actives de la famille des néonicotinoïdes présentes dans les pesticides, afin que l’interdiction prévue dans la loi biodiversité couvre cette molécule ».

      Or, selon l’ancienne ministre de l’Ecologie de François Hollande et actuelle députée PS Delphine Batho, en pointe dans la lutte contre les néonicotinoïdes, ce projet de décret – dont la publication serait prévue dans les prochains jours, sans le sulfoxaflor – n’a tout simplement pas lieu d’être. « La loi sur la biodiversité dit que les produits à base de néonicotinoïdes seront interdits à partir de 2018, avec des dérogations possibles jusqu’au 1er juillet 2020, mais elle ne dit pas que le gouvernement doit prendre un décret pour dire quelles substances – ou molécules – entrant dans la composition de ces produits sont des néonicotonoïdes. Cette liste n’a pas de raison d’exister car la réglementation des substances est de la compétence européenne. Il s’agit d’un stratagème des firmes pour contourner la loi interdisant les néonicotinoïdes », explique-t-elle à Libération.

      Delphine Batho poursuit : « Cette affaire ne date pas de ce matin. Depuis des semaines, on savait que ce projet de décret est très sujet à caution, c’est une peau de banane destinée à ce qu’on ait des problèmes avec l’Europe. Et en plus, comme par hasard, le sulfoxaflor n’y figure pas. Je demande le retrait immédiat de l’autorisation de l’Anses des deux pesticides qui en contiennent. Nicolas Hulot doit réagir vivement et faire respecter la loi et l’esprit de la loi, car en démocratie, ce ne sont pas les lobbys qui gouvernent. »
      Embarras et couacs

      « Dès qu’on a appris l’autorisation de mise sur le marché de l’Anses, on a contacté le cabinet de Hulot, raconte Gilles Lannio. Ils sont franchement embarrassés, apparemment eux aussi se seraient fait surprendre. Je ne m’explique pas cela. On entend un président de la République qui dit : "Je veux mettre tout le monde en ordre, on évite les couacs." Si ça n’en est pas un…. On peut se demander aujourd’hui s’il y a un pilote dans l’avion sur ces sujets. »

      Au cabinet de Nicolas Hulot, on confirme que le ministre a bel et bien apposé sa signature sur le décret, aux côtés de ses collègues de l’Agriculture et de la Santé, ce texte « permettant de sécuriser l’interdiction des néonicotinoïdes, pour qu’elle soit opérationnelle au niveau européen ». Quant à l’autorisation des deux produits contenant du sulfoxaflor par l’Anses, le ministère de la Transition écologique « savait que c’était dans les tuyaux » : « Cela ne nous plaît pas du tout, donc on cherche des solutions ». Une réaction officielle est prévue ce vendredi.

      Fin juin, le premier « couac » gouvernemental, et premier bras de fer entre Nicolas Hulot et l’un de ses collègues, avait concerné… les néonicotinoïdes. Le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert avait dit vouloir revenir sur leur interdiction, aussitôt contredit par Nicolas Hulot. Le Premier ministre Edouard Philippe avait apparemment donné raison à ce dernier… tout en laissant la porte ouverte aux lobbys.

      « La question politique de fond, la voici : quel est le pouvoir du ministère de l’Environnement par rapport au ministère de l’Agriculture ? interroge Henri Clément. Depuis vingt-cinq ans, en règle générale, c’est toujours le ministère de l’Agriculture et sa cohorte de la FNSEA qui a le pouvoir sur toutes les décisions du monde agricole. Soyons clairs : dire l’inverse est une aberration. Nicolas Hulot est ministre d’Etat, on aimerait bien qu’il arrive à s’imposer face à Travert. » S’il ne le faisait pas, sur cette nouvelle affaire, ce ne serait pas une couleuvre, qu’il avalerait, mais un anaconda.