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récoltes et semailles

  • Sur la propriété des données personnelles (et leur valeur marchande)

    https://linc.cnil.fr/vivrons-nous-demain-au-moyen-age

    Alors, nouveau système féodal ? En tout cas, il est intéressant de passer ces analyses au prisme de l’esprit du cadre européen de protection des données : le droit français (en particulier par la modification de l’article 1er de la Loi dite "Informatique et Libertés" suite à la Loi pour une République Numérique, ) et le droit européen (Règlement général à la protection des données) évitent soigneusement cette notion de propriété des #données_personnelles, qui peut paraitre séduisante de prime abord, mais est en réalité probablement une impasse : si l’expression « mes données » est une belle manière d’affirmer la souveraineté de l’individu sur ce qui le concerne au premier chef, tout ce qui vient en droit (et dans une moindre mesure en économie) avec la notion de propriété est extrêmement difficile à mettre en musique quand on parle de données, a fortiori de données personnelles. Par exemple les données génétiques d’un individu peuvent être considérées comme des données « pluripersonnelles » comme le rappelle la nouvelle publication de la CNIL sur le sujet (Le point CNIL : Les données génétiques, à la Documentation française, p. 41) : elles sont héritées et transmissibles, donc partagées avec les ascendants et descendants et peuvent porter atteintes à leurs droits. Comment dès lors "jouir et disposer de la manière la plus absolue" d’elles seul, pour reprendre la définition du droit de propriété du Code civil (article 544) ? 

    Le droit européen et français met plutôt en avant le pouvoir de contrôle des individus et leurs droits fondamentaux, par exemple par l’entremise du principe d’"auto-détermination informationnelle" et par l’existence, réaffirmée par le RGPD, des droits des individus sur les données les concernant (accès, suppression, portabilité, …). Peut-être disposons-nous déjà de la base juridique nécessaires aux Lumières du numérique ?

    Ces données ne seraient donc pas si « personnelles » ? Quid, du coup, de leur valeur ? Peut-on se contenter de dire qu’elle est extorquée par les plate-formes numériques ? Cf. Dominique Cardon dans son bouquin co-écrit avec @antoniocasilli, Qu’est-ce que le #digital_labor ? :

    Les plateformes d’intermédiation ne produisent pas un service substantiel (comme de fabriquer les contenus de programmes), mais procédural : agréger de la méta-information ou opérer de la mise en relation. J’ai parfois l’impression que dans le reproche fait à Google ou Facebook de « ne rien faire » pendant que les internautes « font le travail » peuvent s’entendre encore les présupposés de l’économie industrielle opposant le « vrai travail » au « faux service ». À ne pas prendre au sérieux l’importance cruciale prise aujourd’hui par les procédures d’intermédiation (hébergement, agrégation, classements, algorithmes, etc.), on risque toujours de penser qu’il suffirait d’agir du côté des plateformes, ou d’en créer de nouvelles d’un claquement de doigts, pour se libérer de la captation indue de plus-value par les GAFA (Google-Apple-Facebook-Amazon).

    Sans effet réseau, sans artefact de mise en relation, sans algorithme de recommandation, sans métrique de visibilité, nos productions numériques ne seraient plus du travail extorqué, mais elles auraient aussi perdu leur visibilité, leur réputation, les gratifications de l’échange et les honneurs du commentaire, bref, elles seraient sans aucune valeur, ni monétaire ni symbolique. Ce raisonnement d’économie « industrielle » fait comme s’il existait une valeur « unitaire » des productions individuelles, ou des données, des internautes, alors que, à l’unité, ces productions, ou ces données, sont sans valeur aucune. C’est leur transformation par un mécanisme d’agrégation, de calcul, de comparaison, de filtre, de classement ou de recommandation qui leur confère un sens (pour les internautes) et une valeur (pour les plateformes). Le service rendu par la plateforme, qui consiste à agréger les interactions et à automatiser la révélation d’une « intelligence collective » des productions unitaires grâce à des algorithmes, est négligé ou minoré dans ces travaux, alors que c’est lui qui rend valorisable le travail gratuit des internautes.

    • Evgeny Morozov et le « domaine public » des données personnelles, par @calimaq
      https://scinfolex.com/2017/10/29/evgeny-morozov-et-le-domaine-public-des-donnees-personnelles

      Au début du mois, l’essayiste biélorusse-américain Evgeny Morozov a donné une interview pour l’émission Soft Power, dans laquelle il résume de manière intéressante les positions assez iconoclastes qu’il défend à propos des données personnelles. Là où les militants numériques mettent l’accent sur la défense de la vie privée, Evgeny Morozov explique que l’enjeu principal est d’ordre économique et que le bras de fer avec les géants du numérique (GAFAM et autres) passe par le fait de considérer les données personnelles comme un « bien public » et de les faire relever d’un « domaine public ». C’est une idée qu’il avait déjà avancée dans un article remarqué paru dans le Guardian en décembre 2016, traduit en français par le Monde Diplomatique sous le titre « Pour un populisme numérique (de gauche) ». (https://blog.mondediplo.net/2016-12-15-Pour-un-populisme-numerique-de-gauche)

      (…) l y a beaucoup de choses à dire sur ces différentes propositions, mais je voudrais commencer par souligner l’impression « épidermique » que doit ressentir toute personne qui entend pour la première fois l’expression « domaine public des données personnelles ». En droit de la propriété intellectuelle, le domaine public constitue ce statut auquel les œuvres accèdent à l’issue de la période d’exclusivité, pour devenir librement réutilisables (moyennant le respect du droit moral), y compris à des fins commerciales. Dès lors, dire que l’on veut faire entrer les données personnelles dans un « domaine public » est de nature à susciter un certain malaise, car on voit mal comment les données personnelles, qui touchent à la vie privée des individus et à leur intimité, pourraient relever d’un tel droit d’usage généralisé. Mais ce n’est pas vraiment à cette « métaphore » du domaine public de la propriété intellectuelle qu’Evgeny Morozov rattache ses propositions. Ce qu’il décrit ressemble davantage au régime dit de la domanialité publique, qui régit les biens possédés par les personnes publiques. C’est le système qui s’applique notamment à l’occupation des trottoirs et des places publiques par des commerces (occupation temporaire du domaine public), moyennant des conditions à respecter et le versement d’une redevance.