Philippe De Jonckheere

(1964 - 2064)

  • http://lafabrique.fr/la-domestication-de-lart

    Les poètes et les artistes sont comme tout le monde, ils doivent se nourrir et se loger, ils ont besoin d’argent. Mais la marchandisation générale a bouleversé la relation qu’ils avaient nouée avec le pouvoir politique et les mécènes depuis le temps des Médicis. La culture – le ministère de la Culture, mais pas seulement – est devenue une entreprise, explique Laurent Cauwet. Les poètes et les artistes sont ses employés, qui ont des comptes à rendre à leur employeur. « La prolétarisation des savoir-faire de l’art et de la pensée oblige à pratiquer avec plus ou moins de subtilité l’autocensure et le formatage des œuvres commandées. » L’entreprise culture, qui prône un humanisme universel, va exporter le bon art et la bonne parole dans les quartiers populaires pour éduquer la plèbe – dès lors, on peut se demander « quelle peut être la place d’un artiste ou d’un poète, rémunéré par ce même État qui rémunère les policiers qui insultent, frappent, emprisonnent et tuent ? »

    Le mécénat privé est l’autre face de l’entreprise culture : Vuitton (LVMH, Bernard Arnault) et son « grand oiseau blanc » au bois de Boulogne, « cadeau aux Parisiens » ; Benetton et son projet Imago Mundi, collection de petites œuvres commandées à des artistes du monde entier, mais pas aux ouvrières d’Asie, d’Afrique et d’Europe de l’Est qu’il exploite, ni aux indiens Mapuches de Patagonie qu’il chasse de leurs terres ; la fondation Cartier s’opposant à ce que Frank Smith lise un texte où il est question de Gaza (« On ne peut pas aborder un tel sujet à la fondation »), etc.

    La culture, qu’elle soit une commande publique ou un investissement privé, est devenue une « entreprise » de pacification tout à fait profitable.

    Et moi qui pensais, naïvement, que lorsque je quittais mon travail alimentaire pour me ruer dans mon garage y travailler à toutes sortes de mes petits projets, j’étais dans un effort d’émancipation, je constate, amèrement, qu’en fait, même dans le garage, je travaille pour un maître, peut-ête plus grand et plus insidueux encore, que mon employeur alimentaire.

    Très bon livre, je vous le recommande, même si, on l’a compris, cela ne remonte pas nécessairement le moral