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NI ACTUALITÉS NI COMMENTAIRES, ..... DU COPIER-COLLER ET DES LIENS... Un blog de « curation de contenu » : 82 LIVRES , 171 TEXTES et 34 DOCUMENTAIRES :

  • Les « belles âmes » d’Israël

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/10/26/les-belles-ames-d-israel_5206251_3232.html

    Dans « A l’ouest du Jourdain », Amos Gitaï filme des Israéliens qui agissent contre la colonisation. Un témoignage important, cinquante ans après le début de l’occupation de la Cisjordanie, dit, dans sa chronique, Alain Frachon, éditorialiste au « Monde ».

    En anglais, on les appelle, avec un brin de condescendance, les do-gooders – les « belles ou bonnes âmes ». Ils sont de toutes les luttes, toujours du même côté : celui du plus faible. Ils croient au dialogue, se refusent à la fatalité de la guerre. Ils s’exposent, prennent des risques, en marge de la politique officielle. On les accuse de trahir leur camp, celui des forts, ou, au contraire, de lui acheter une bonne conscience.

    Chacun a ses do-gooders, toujours bien intentionnés. Des Français ont tendu la main aux nationalistes algériens, des Serbes aux Bosniaques de Sarajevo, des protestants aux catholiques d’Irlande du Nord. Ce mois-ci, le cinéaste israélien Amos Gitaï rend hommage aux siens. Dans A l’ouest du Jourdain, il filme des Israéliens qui, sur le terrain, agissent contre la colonisation de la Cisjordanie, tissent des liens avec des Palestiniens et assurent leur défense devant les tribunaux. Ceux-là combattent l’idée d’une malédiction immanente qui installerait les deux parties dans un conflit voué à l’éternité.

    Ils s’appellent Betselem (protection des droits de l’homme), Breaking the Silence (« rompre le silence », sur le comportement de l’armée) ou Amnesty Israël. D’autres groupes sont anonymes, plus informels. Tous se disent patriotes israéliens, profondément. « Ce sont des femmes et des hommes qui aiment leur pays, mais restent convaincus de la nécessité de construire des ponts », dit Gitaï. Le temps compte : « Les Palestiniens de Cisjordanie sont sous occupation depuis cinquante ans, les deux tiers de l’existence d’Israël. »

    « Une dégradation quotidienne »

    L’importance du film d’Amos Gitaï est dans cette date-repère. Elle tient au refus de banaliser ce qui se passe à l’ouest du Jourdain. La tourmente moyen-orientale a semé le chaos aux frontières d’Israël. Elle a marginalisé le conflit israélo-palestinien, moins mortifère que les guerres inter-arabes. Pour autant, rien n’est « normal » en Cisjordanie et dans la partie orientale de Jérusalem. La mission des do-gooders d’Amos Gitaï est de le rappeler. Même si personne ne les écoute.

    A l’ONU, la semaine dernière, le représentant de la France, François Delattre, constatait : « Le temps ne rend pas le conflit israélo-palestinien moins dangereux. Loin d’être un statu quo, la situation sur le terrain est marquée par une dégradation quotidienne, liée notamment à la colonisation. » Conquises lors de la guerre de juin 1967, la Cisjordanie et la partie arabe de Jérusalem accueillent aujourd’hui un demi-million d’Israéliens.

    La majorité des juristes s’accordent : la puissance occupante n’a pas le droit de changer la situation sur le terrain. Cinquante ans de colonisation ont rendu la Cisjordanie méconnaissable – continuité territoriale en miettes, ressources en eau confisquées, paysage physique bouleversé par les implantations israéliennes et, notamment, un réseau de routes de contournement réservé aux colons.

    « Nous n’évacuerons aucune implantation »

    Inoxydable premier ministre, Benyamin Nétanyahou, au pouvoir depuis douze ans, est à la tête d’une majorité de droite et d’ultra-droite qui ne cache pas sa priorité : multiplier les implantations en Cisjordanie. Célébrant ce 50e anniversaire, Nétanyahou déclarait fin août : « Nous n’évacuerons aucune implantation (…), nous ne partirons pas. Nous allons garder la Samarie [nom biblique de la Cisjordanie]. Contre tous ceux qui veulent nous en empêcher, nous allons nous enraciner ici. »

    A la mi-octobre, le gouvernement Nétanyahou a autorisé une nouvelle vague d’implantations. Les héros d’Amos Gitaï sont impuissants. Mais ils témoignent. Betselem tient la comptabilité des expropriations de terres palestiniennes et Breaking the Silence, le journal des petites et grandes exactions inhérentes au contrôle d’une population occupée de plus de trois millions de personnes. Ils luttent aussi.

    Un vieux rabbin se bat pour empêcher des colons de détruire un jardin d’enfants arabes. La mort d’un fils dans les combats réunit des Israéliennes et des Palestiniennes. Au fil des affrontements, du terrorisme et du contre-terrorisme, les do-gooders, des deux côtés, ne baissent pas les bras. Et des deux côtés, ceux qui ont une solution toute faite au conflit, les « politiques », moquent leur angélisme.

    Faire taire les ONG israéliennes

    Mais si les belles âmes sont si inoffensives, pourquoi leur mener la vie dure ? Si elles ne servent à rien, pourquoi les attaquer ? A Jérusalem, le « parti des colons » vote des lois pour faire taire les ONG israéliennes actives en Cisjordanie. Elles participeraient à une campagne internationale de « délégitimation » d’Israël ? Mais en matière d’atteinte à l’image d’Israël, la colonisation bat tous les records. Qui « délégitime » qui ?

    A Washington, le parti républicain, succursale de la droite israélienne, surenchérit. Le Congrès étudie un projet de loi qualifiant d’infraction civile et pénale l’aide financière que des Américains apportent à Betselem, à Breaking the Silence ou à la campagne visant à boycotter les produits israéliens fabriqués dans des colonies. Les citoyens américains peuvent financer la colonisation, ils n’auraient pas le droit de s’y opposer ! Le texte a peu de chances d’aboutir mais son objet est de soutenir l’ambition de la droite israélienne : effacer toute « frontière » entre la Cisjordanie et Israël. Il s’agit de réaliser le rêve du parti des colons : l’annexion de ce territoire – qui empêchera la création d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël.

    Gitaï ne rentre pas dans ce débat. L’auteur de Kippour, de Kadosh, du Dernier jour d’Itzhak Rabin, filme à vue. Il saisit le chaos de l’occupation, une série de scènes, parfois contradictoires, sans autre objectif que de saluer ces do-gooders, qui préservent l’espoir, dit-il, « refusent la déshumanisation de part et d’autre » et « rendent envisageable un futur commun ». Un jour.