Comprendre la mécanique raciste. Entretien avec Pierre Tevanian – CONTRETEMPS
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Pourquoi la « mécanique raciste » ?
Le mot mécanique dit d’abord le caractère artificiel du racisme, en opposition avec une idée reçue que je prends le temps de récuser dans le livre : l’idée qu’au fond le racisme procéderait d’une peur de l’autre ou de l’inconnu, inhérente à la nature humaine. Je montre que cette idée est absolument fausse, d’une part, et fautive d’autre part sur le plan éthique dans la mesure où elle débouche sur une complaisance avec la violence raciste : si celle-ci procède d’un penchant naturel, on peut la contrôler, mais on ne peut pas l’éradiquer, et il ne faut pas être pressé dans ses demandes d’égalité de traitement. A l’opposé de cette approche « naturaliste » je souligné la dimension culturelle du racisme, sa dimension historique, sociale, politique…
Ce n’est donc pas la différence, ou l’inconnu, qui produisent en tant que tel de la peur et du rejet ?
Non, puisque ce n’est pas n’importe quel inconnu. C’est toujours une catégorie bien précise d’inconnus, par exemple l’arabe plus que le Scandinave, ou le musulman plus que le bouddhiste. Si la différence et l’inconnu inspiraient naturellement et univoquement la peur et le rejet, ces catégorisations et ces hiérarchies n’existeraient pas. Et si les phobies étaient vraiment naturelles, elles iraient « sans dire » : il n’y aurait pas besoin de les professer dans d’interminables paroles et écrits. Ce sont toujours des productions discursives, des discours d’autorité (le discours savant ou pseudo-savant, le discours journalistique qui prétend lui aussi dire le vrai, le discours professoral, la parole parentale, mais aussi le Droit, les lois et circulaires) qui désignent un groupe comme inférieur (et donc à maintenir sous tutelle) ou menaçant (et donc à mâter par une guerre préventive). Encore une fois, si les catégorisations, les hiérarchies et les rapports d’hostilité étaient naturels, ils ne se cristalliseraient pas dans une telle prolifération de discours.