• Face au danger nucléaire, les effets d’un discours expert désinvolte
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    L’intuition de l’immensité de la dévastation causée par les armes nucléaires invite un inconfort qui se traduit par un désir de contrôle et de connaissance. Ce désir se mue souvent en une foi dans le discours autorisé qui affirme contrôle et connaissance. En d’autres termes, on se réfugie derrière l’apparente solidité de l’absence d’explosion nucléaire à l’issue de la crise de Cuba ou d’autres.

    Les contingences indépendantes du contrôle des acteurs et les défaillances des pratiques de contrôle qui n’ont pas conduit à une explosion nucléaire, voire l’ont empêchée, ont un nom : la chance.

    La recherche a aussi établi que les cadres intellectuels des « experts » les rendent aveugles au rôle possible de la chance. Or cet aveuglement n’est ni un fondement solide pour juger du rôle de la chance ni une fatalité. Personne ne dit que seule la chance a empêché l’emploi des armes nucléaires, mais le fait qu’elle a été nécessaire – ne serait-ce que dans certains cas – devrait suffire à nuancer ces affirmations de contrôle et à inaugurer un programme de recherche susceptible de décider de son rôle dans l’histoire nucléaire globale.

    La tentation poétique : « La bombe nous protège parce qu’elle nous menace »

    Cette phrase perpétue, sur un mode poétique, l’idéologie dominante, sans se soucier d’offrir des preuves. Elle postule que la menace nucléaire suscite de la peur et que cette peur entraîne de la prudence de la part des décideurs. Or, la recherche empirique a montré, à partir de sources primaires, qu’aucun de ces deux postulats n’était aussi vrai qu’il n’y paraît.

    Ainsi, au moment de la crise de Cuba, la peur a été très limitée en France, alors que le pays était très vulnérable, et les dirigeants qui ont eu le plus peur, tel Fidel Castro, n’ont en rien manifesté de la prudence. Ils ont, bien au contraire, poussé dans le sens de l’escalade.

    L’obscénité de la normalisation : accepter le risque nucléaire comme le risque automobile

    L’analogie entre l’acceptation du danger nucléaire et celle du risque automobile est trompeuse et biaisée quant à ce que l’on peut connaître, les conséquences attendues de la catastrophe et la construction de la responsabilité à cet égard.

    Ce que l’on peut connaître : la mesure du risque automobile s’appuie sur un univers de données exhaustif et de très grande ampleur dans le temps et dans l’espace, accepté par experts et contre-experts. Au contraire, la mesure du risque nucléaire s’appuie sur un nombre très limité d’événements au sujet desquels les officiels ont menti, pour lesquels le secret d’État demeure un obstacle à la connaissance et sur lequel les experts surestiment la suffisance et la validité de leur connaissance.