• @raspa
    Excellent article sur l’intersectionnalité, le côté inséparable de nos différentes étiquettes sociales (et donc l’inséparabilité des combats, en l’occurrence là contre sexisme et racisme).

    PANTHERE PREMIERE | PP ?
    http://pantherepremiere.org/le-dilemme-de-cologne.html

    Je n’ai pas oublié, cependant, la première fois où l’injustice que cela impliquait m’a frappée, et ce n’était alors qu’un chagrin d’enfant. J’avais cinq ans, six ans peut-être, et devant le grand miroir du couloir, chez ma grand-mère, nous faisions des mines avec ma cousine. Elle jetait ses cheveux en arrière, longs, lisses et clairs. J’avais beau secouer la tête, les miens, de cheveux, tressés haut sur le crâne, couronnés de frisottis, demeuraient parfaitement inertes. J’ai fondu en larmes sur les genoux de ma mère – pourquoi mes cheveux ne bougeaient-ils pas, pourquoi n’avais-je pas droit à l’ondoyance, aux reflets brillants, pourquoi fallait-il les enrouler dans un cordon la nuit, les attacher le jour. J’ai pleuré, je n’ai jamais aimé ces cheveux, je les ai torturés quelque temps, ils profitent maintenant d’une tranquillité discrète. Je voulais qu’ils bougent enfant, je les porte enfermés aujourd’hui – trop nombreux, trop frisés, trop voyants. Ce jour-là, j’étais triste parce que dans le miroir, je ne ressemblais pas aux modèles de filles et de femmes que déjà nous avions appris à poursuivre ; et je n’y ressemblais pas parce que j’étais arabe. La question de mon propre rapport à mon corps et à ma féminité a toujours été, aussi, celle de ma racisation ; de la même manière qu’ils ont toujours été appréhendés par autrui à travers ce prisme racial : mes cheveux de femme, ma peau de femme, mon corps de femme est un corps d’arabe.

    Encore cette histoire de cheveux... Cette anecdote est le parfait miroir du projet dont je t’ai parlé, ça va m’inspirer pour mes questions.

    Melusine dit des trucs super intéressants sur l’intersectionnalité qui m’interrogent beaucoup. J’arrive pas à savoir si je suis d’accord ou pas... Mais je crois que ça va changer ma façon d’expliquer le concept :

    L’approche intersectionnelle porte un risque, l’idée que ces positions d’intersection ne concerneraient que certains groupes, minoritaires parmi les minorités. Les femmes racisées, au croisement de rapports de genre et de rapports de race, subiraient une domination patriarcale et une domination raciste, comme autant de jougs qui viendraient s’ajouter. Les femmes blanches quant à elles, ne subiraient que – la grammaire oblige à de stupides euphémismes – le sexisme : elles seraient ainsi seulement femmes, quand d’autres seraient femmes et arabes ; femmes et noires. Cette idée que certaines positions seraient plus intersectionnelles que d’autres renforce le biais même que ce paradigme entend renverser. En invisibilisant la spécificité des positions dominantes, en passant sous silence la prise de la blanchité et de la masculinité sur les individus, on échoue à penser l’imbrication des structures de domination. Il y aurait des situations qui seraient en elles-mêmes simples : l’homme vainqueur et ses subordonnés : la femme, l’arabe ; quand d’autres seraient complexes, tant socialement que politiquement.

    La nécessité de rétablir une symétrie d’analyse politique entre ces différentes positions sociales, prises dans une pluralité de structures de domination, ne doit cependant pas conduire à une appréhension cumulative de l’imbrication. Elle amènerait à penser les hommes racisés comme à la fois bénéficiant des « privilèges » associés à leur sexe et souffrant des discriminations propres à leur statut de racisé, chacun allant indépendamment des autres. Cette approche simpliste ne correspond à aucune appréhension matérielle des conditions de vie des individus : les femmes racisées issues de quartiers défavorisés rencontrent par exemple moins de barrières à l’entrée du marché du travail que les hommes racisés issus des mêmes milieux sociaux – mais les emplois qu’elles occupent en nombre sont ceux de ménage, de care, résolument féminins. De la même manière, les femmes blanches ne sauraient être considérées comme étant à la fois dominées en tant que femmes et dominantes en tant que blanches : leur appartenance au groupe blanc est irrémédiablement traversée par leur condition subalterne de genre, elles ne sont blanches qu’en tant qu’elles appartiennent aux hommes du groupe dominant, et c’est comme objet de convoitise qu’on leur enseigne à craindre l’homme racisé.