La répartition raciale de la culpabilité
"Il y a de cela une dizaine d’années, nous fûmes étonné de constater
que les Nord-Africains détestaient les hommes de couleur. Il nous
était vraiment impossible d’entrer en contact avec les indigènes. Nous avons laissé l’Afrique à destination de la France, sans avoir compris la raison de cette animosité. Cependant, quelques faits nous avaient amené à réfléchir.
Le Français n’aime pas le Juif qui n’aime pas l’Arabe, qui n’aime pas le nègre... À l’Arabe, on dit : « Si vous êtes pauvres, c’est parce que le Juif vous a roulés, vous a tout pris » ; au Juif, on dit : « Vous n’êtes pas sur le même pied que les Arabes parce qu’en fait vous êtes blancs et que vous, avez Bergson et Einstein » ; au nègre, on dit : « Vous êtes les meilleurs soldats de l’Empire français, les Arabes se croient supérieurs à vous, mais ils se trompent. »
D’ailleurs, ce n’est pas vrai, on ne dit rien au nègre, on n’a, rien à lui dire, le tirailleur sénégalais est un tirailleur, le bon-tirailleur-à-son-capitaine, le brave qui ne-connaît-que-la-consigne.
-- Toi pas passer.
-- Pourquoi ?
-- Moi y en a pas savoir. Toi pas passer.
Le Blanc, incapable de faire face à toutes les revendications, se
décharge des responsabilités. Moi j’appelle ce processus : la répartition raciale de la culpabilité. "
[Frantz #Fanon, "Peau noire, masques blancs"]