• Fabrice Dhume : Le ministre ignorant. Cinq leçons sur la polémique à propos du racisme et de l’antiracisme à l’école
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    Ces polémiques fonctionnent comme des opérations de police du langage et de la pensée. A travers le contrôle sur la circulation et l’usage de certains concepts (« islamophobie », « genre », « race », « racisme d’Etat »…), ces opérations reviennent à empêcher l’action sur les normes sociales – celles, du moins, qui assurent le privilège des groupes en position dominante. Par un détournement et une disqualification des manières de nommer l’ordre social inégalitaire et hiérarchisé, il s’agit de faire accroire dans l’opinion publique : que parler d’« islamophobie » empêcherait de critiquer la religion musulmane, que nommer « la race » (soit le nom d’un rapport de domination, comme « la classe sociale ») reviendrait à être raciste, que parler de « genre » serait une incitation déguisée à « changer de sexe », etc.

    Opérant tout particulièrement par la fluidité et la vélocité des réseaux sociaux, cette stratégie de contrôle social, de l’ordre du harcèlement, radicalise la conflictualité politique. De nombreux acteurs au sein de l’école l’éprouvent, dans les relations avec les publics comme au sein des équipes. Et la fréquentation des réseaux sociaux l’atteste, avec la prolifération des discours de dégradation, des insultes et des menaces. En rigidifiant les frontières de la société française et de son école, en exploitant des incertitudes pour alimenter une logique de peur, et en développant un discours complotiste sur le thème « le communautarisme menace la république », cette nouvelle stratégie de contrôle social provoque l’exacerbation des ressentiments. Elle rend acceptable une logique de guerre (« guerre culturelle », disent les entrepreneurs de ces polémiques, en agitant par ailleurs le spectre de la « guerre civile » pour rallier à leur cause ceux que la violence des polémiques effraie). Elle autorise en conséquence des paroles, actes et attitudes racistes.

    Dans le champ scolaire, cette stratégie est efficace, si l’on en juge par les reculades répétées de l’institution, sur les enjeux et sur les mots de l’égalité : c’est ainsi qu’ont été effacés des sites Internet du ministère le mot « genre », ou les rapports sur la « refondation de la politique d’intégration », qu’a été déprogrammé de la formation professionnelle des enseignants le colloque sur l’intersectionnalité, qu’a été annulé le colloque de Lyon, etc. Une autre conséquence délétère est que, au lieu de soutenir les personnels scolaires dans leur délicat travail pour parler de ces questions avec leurs élèves, ces polémiques empêchent ce travail : elles précarisent celles et ceux qui malgré tout s’y consacrent, quand elle ne fait pas taire les velléités d’autres. Les polémiques jouent d’un effet d’intimidation, qui résulte de la violence par laquelle les acteurs des initiatives incriminées sont brusquement projetés au centre d’une brutale médiatisation, et traités sur le mode du procès public - faisant figure, comme en temps de guerre, de sortes de « traîtres à la patrie » .