• Le vivant est irréductible - pratiques
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    Dans mon livre Cerveau augmenté, homme diminué, j’ai voulu parler de l’hybridation et émettre l’hypothèse que nous ne sommes pas en présence d’une vraie hybridation, mais d’une colonisation. Dans une vraie hybridation, il y a des organismes ou des entités de système qui se mélangent alors qu’ici, on passe sous silence le fait que le pôle biologique et le pôle technologique sont de nature totalement différente. Pour moi, il est clair qu’il ne s’agit pas d’une vraie hybridation, mais bien d’une colonisation.

    J’ai travaillé plutôt sur le cerveau parce que c’est ce que je connais et parce que le cerveau, en tous les cas en Occident, est considéré comme l’organe noble par excellence, là où il y a la pensée, les affects et les sensations. Le cerveau n’est cependant pas le seul à être « colonisé ». Toucher au cerveau, prétendre pouvoir modéliser la pensée, les affects et les sensations, c’est quelque chose de costaud ! C’est détisser toute singularité, toute frontière qui permettrait de dire : voilà ça, c’est le propre du biologique, ça, c’est le propre de la machine.

    Il faut savoir que, d’après la « théorie de l’information » utilisée par le monde numérique, il est possible de recueillir toute l’information qui constitue un cerveau ou un organisme. C’est le fameux programme où les chercheurs disent : je peux modéliser et recueillir toute l’information qui est dans un cerveau, je la passe dans une machine, un disque dur, et je la mets avec des algorithmes capables d’apprendre. Concrètement, cela veut dire que, quand je modélise le cerveau de Robert, l’idée n’est pas de faire une bibliothèque où les gens pourraient venir se renseigner sur ce que pense Robert ; l’idée est, qu’avec des algorithmes capables d’apprendre, dans un système qui resterait ouvert à l’information, le Robert en question, passé à la machine, continuerait à apprendre sur l’évolution du monde, sur l’évolution de sa famille. La question qui se pose alors est : mais où est Robert ? Dans le cerveau biologique qui est en train de se corrompre ? Ou Robert n’est-il pas plutôt à « augmenter » à « améliorer » dans la machine ?

    En dehors du monde de la recherche, ceci semble aujourd’hui de la science-fiction, mais, dans celui de la recherche, si on dit à n’importe quel collègue : « Tu ne peux pas modéliser entièrement un cerveau », la réponse est : « Pourquoi ? Au nom de quoi ? Tu es un ayatollah, Dieu t’en empêche ? » Ils ne disent pas que c’est fou, ils disent qu’on ne sait pas encore le faire.

    La question que je pose à propos du cerveau, et à propos du vivant en général, est la suivante : est-il vrai qu’il n’y a rien qui structurellement résiste dans le cerveau, dans le vivant, à cette modélisation, à cette réduction ?

    Miguel #Benasayag

    avec un peu de shameless auto promo pour le @spip inside !