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  • Comment la Russie a fait élire Trump à la Maison Blanche

    « Oh Nikita is the other side of any given line in time/Counting ten tin soldiers in a row/Oh no, Nikita you’ll never know » (« Nikita », Elton John) | Terrorismes, guérillas, stratégie et autres activités humaines
    http://aboudjaffar.blog.lemonde.fr/2017/12/06/democracy-dies-in-darkness

    On sort de ce livre pris de vertige. Luke Harding, grand reporter au quotidien britannique The Guardian, que l’on ne soupçonnera pas d’être trop atlantiste (point Védrine), décrit dans Collusion, avec une précision diabolique, les liens nombreux et complexes du président Trump, de ses affaires et de ses collaborateurs avec le pouvoir, le crime organisé et les services russes.

    MICE

    Ecrit sobrement (et pas nécessairement très bien traduit), le livre de Harding part du fameux rapport Steele, notamment consacré aux leviers dont Moscou disposerait sur Donald Trump, pour décrire par le menu l’évolution des relations entre le milliardaire avec la Russie. Reprenant et complétant les très nombreux articles de la presse américaine et anglaise, le journaliste explore l’entourage du président américain et précise et explique les accusations qui ne cessent de fragiliser son entourage.

    Sans jamais se laisser aller à des jugements de valeur, Harding met de l’ordre dans cet écheveau d’affaires, de relations tordues et de corruption pour nous le rendre intelligible. Grâce à la clarté du propos, qui évoque souvent les fils que Corentin Sellin tisse sur Twitter, l’auteur nous place au cœur de la crise institutionnelle permanente qu’est devenue la vie politique américaine depuis l’élection de Donald Trump, au mois de novembre 2016. Il ne juge pas, mais il raconte, et c’est bien suffisant.

    On ne peut, en effet, qu’être abasourdi par le mélange de bêtise crasse, d’ignorance assumée, d’idéologie de comptoir et de vulgarité que semble être le président. Harding nous livre des anecdotes qui pourraient faire sourire (on pense à Bob Roberts) si elles n’étaient pas si vertigineuses. Mais le plus important est ailleurs. Si Donald Trump a été élu grâce aux terribles brèches de la société américaine, c’est aussi qu’il a bénéficié du soutien, direct et indirect, de Moscou.

    Ce que décrit Harding dans Collusion n’est pas seulement l’arrivée au pouvoir d’un satrape dont le comportement ne cesse de nourrir les questionnements au sujet de sa rationalité, voire de son état mental, mais bien la plus extraordinairement ambitieuse opération de déstabilisation de l’Histoire. Comme son titre l’indique parfaitement, Collusion est aussi, si ce n’est d’abord, un livre sur le renseignement, le recrutement et la manipulation, et il montre les services extérieurs russes à la manœuvre. Harding décortique la façon dont Trump et son entourage sont environnés, approchés, recrutés, manœuvrés, et dans certains cas compromis.

    C’est, en particulier, le cas du président américain lui-même, qui serait tenu de façon assez ferme (je ne mentionne pas où, des enfants pourraient me lire) à la suite de pratiques intimes dûment observées par les petits plaisantins des SR russes. Le recrutement de sources par la compromission (kompromat) n’est évidemment pas l’apanage de nos petits camarades moscovites, mais les braves garçons sont des maîtres respectés de la méthode, et je me souviens avoir participé à des réunions de sensibilisation à des destination de délégations diplomatiques françaises. Certains ricanaient. J’espère qu’ils le peuvent encore.

    Harding, citant Steele, avance nettement, faits et dates à l’appui, l’hypothèse d’un Trump tenu par les Russes, et entouré de conseillers eux-mêmes étroitement connectés. Il détaille les relations financières du chef de l’Etat avec des oligarques et des mafieux, démontre de façon assez convaincante – et stupéfiante – que les sociétés de l’empire Trump ont blanchi de l’argent du crime organisé ou ont été parfois mystérieusement sauvées de la faillite par la Deutsche Bank, et il dévoile, l’air de rien, le vide intellectuel abyssal du milliardaire et de son entourage. Le général Flynn, qui ne doit plus beaucoup faire rêver du côté de la DRM et dont le rôle est décidément bien trouble, y est par exemple décrit comme un affairiste agressif, épais et mal embouché. Comme le glisse l’auteur, son livre « ne valait pas mieux que les coups de gueule d’un pilier de comptoir ». Il faut admettre ici que nous avons les mêmes ici, et qu’ils ont parfois de hautes fonctions éditoriales. Quant à Paul Manafort, ce que l’on apprend de lui est assez sidérant, en particulier au sujet de ses activités en Ukraine.

    #Trump