• Banalisation de la résidence alternée, nouveau faux-nez de l’égalité femme-homme | Le Club de Mediapart
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    Aurions-nous enfin franchi un cap sociétal majeur ? Il semblerait qu’il n’y ait pas plus maternant qu’un père français et que le temps soit donc venu d’entériner par la loi l’implication toujours plus marquée des hommes dans la prise en charge des enfants, s’agissant des familles éclatées. Vive la coparentalité égalitaire, le 50/50 partout ! Ainsi sera-t-il débattu jeudi 30 novembre 2017 à l’Assemblée nationale* d’un projet de loi proposant de généraliser la résidence alternée pour les enfants de couples séparés, enfants dont l’intérêt supérieur est mis en exergue. Le député MoDem qui le porte, Philippe Latombe, argue des déboires qu’il a rencontrés en tant que divorcé pour réclamer que ce dispositif inscrit dans le code civil comme une possibilité et retenu dans seulement 17 % des cas (80 % des séparations ont lieu sans conflit de résidence, la garde revenant en général à la mère) devienne la norme.

    Le fait d’être concerné soi-même n’est pas un argument suffisant, le raisonnement par induction se devant de constater l’inflation de cas analogues avant de statuer sur la réalité d’un phénomène. Là encore, il semble que la manie de la marche forcée, conjuguée à la confiance excessive de nos politiques en leurs seules capacités d’appréciation des réalités de terrain, les fasse évoluer sur un autre plan physique.

    Jusqu’à aujourd’hui, les hommes ne s’occupaient en moyenne que 27,9 minutes par jour de leurs enfants (contre 81,3 minutes pour les femmes). Sont-ils prêts, suggestionnés par la nouvelle lubie jupitérienne, à assumer une coparentalité égalitaire ? Rien n’est moins sûr, même si les choses évoluent un peu. En Belgique, où la résidence alternée a été généralisée, on a coutume de plaisanter sur celle-ci en disant que sa logistique se décide le plus souvent entre la mère et… la grand-mère.

    Ce projet de loi traîne dans les cartons malpropres du Parlement depuis quelques années et fut un temps porté par le tartufe Denis Baupin. Cela fait huit ans que les associations féministes le combattent. Elles apprécieront ce nouveau croc-en-jambe, après l’asphyxie des plannings familiaux et la réduction des contrats aidés. Il eût été plus judicieux de donner davantage de moyens à la médiation, de façon à épouser au mieux, si l’on ose dire, la diversité des situations, dans l’intérêt des parents comme des enfants.

    Les députés réfléchiront-ils à deux fois avant de se prononcer sur cette proposition ? Se renseigneront-ils au préalable auprès des associations sur toutes les implications et les variables de la résidence alternée ? Ils feraient bien de ne pas trop singer l’activisme du président de la République, dont le talent pour se placer à l’avant-garde des nobles causes en méconnaissance de cause, voire au nom, inavouable, de principes périmés, ne masquera plus très longtemps la course à l’abîme à quoi s’apparente sa marche. La compassion macronienne travestit la réalité et fait injure aux femmes victimes de violences conjugales : « 123 femmes mortes sous les coups de leur mari en 2016 », s’émeut-il. D’après Libération, la plupart des 220 femmes tuées entre 2014 et 2016 n’ont pas succombé des suites d’un duel domestique, d’un échange de coups où l’homme, méconnaissant sa force, aurait pris le dessus, mais ont été assassinées avec préméditation, à l’arme blanche, à l’arme à feu ou par écrasement automobile. Et ces meurtres ont été généralement commis quand elles cherchaient à partir (contexte de séparation ou d’officialisation de la rupture), lors du passage de relais en cas de garde partagée, justement, ou de l’exercice d’un droit de visite par le père.

    Parce qu’il est bon, paraît-il, que les enfants conservent un référent paternel, fût-il maltraitant, de nombreux juges aux affaires familiales, sensibles au lobbying d’associations pro-pères, font pression sur des femmes séparées de conjoints violents pour qu’elles acceptent la « solution » de la garde alternée (quelques cas édifiants bien documentés rassemblés ici), solution qui les oblige à résider non loin de leur bourreau et à avoir des contacts réguliers avec lui. Ces femmes demeurent sous emprise et le risque d’une instrumentalisation des enfants est aggravé. On conviendra qu’il est des cadres d’épanouissement plus idylliques.

    La systématisation de la résidence alternée signifierait pour les mères célibataires, déjà pénalisées, en cas de chômage, par l’immobilité à laquelle elles sont condamnées, alors que la chorée néolibérale leur fait obligation, comme aux hommes mais sans les mêmes chances de réussite, de bouger, la suspension totale ou partielle des pensions alimentaires et autres aides. Quand on sait que ces mères, particulièrement exposées à la pauvreté, représentent 54 % des dossiers de surendettement, on voit mal à quelle harmonisation des conditions une telle loi mènerait. La résidence alternée a un coût important autant pour les femmes et que pour les hommes concernés, mais hors milieux aisés, il reste beaucoup plus difficile à amortir pour les femmes, du fait des inégalités de traitement persistantes en France (comme le rappelle ici Hélène Périvier, économiste à l’OFCE), auxquelles il conviendrait peut-être de porter remède avant de relancer ce vieux débat. Le choix même du mot résidence, qui renvoie au foyer fiscal et parle avant tout à l’administration, montre à quel niveau d’appréciation du problème le projet de loi se situe.

    En vérité, comme le rappelle Franck Lepage dans un post Facebook sur le même sujet, l’égalité macronisée est le cheval de Troie d’intérêts qui se fichent de la condition féminine comme de leur dernier CDS. C’est un label profitable que se disputent des organismes privés de normalisation et d’homologation comme AFNOR et ISO, qui sera vendu aux administrations, avec les trois visites de contrôle et l’audit annuels, eux aussi payants. Il faudra de surcroît former les auditeurs et les données recueillies par eux alimenteront une base de données monnayable auprès de Google, qui envisage de confier à des algorithmes la gestion des ressources humaines. La norme européenne en matière d’égalité est d’une exigence si implacable qu’elle considère qu’il y a égalité lorsqu’au moins 10 % des cadres dans une entreprise sont des femmes. Cela vaut à l’entreprise méritante d’être notée 18/20, même si elle peut mieux faire en calcul…

    L’antique pratique du vice se décernant des brevets de vertu pour conserver sa prééminence a de l’avenir dans la France en marche.