Louis et les robots : De la honte au temps de l’affaire Weinstein | Carbone (je découvre cette belle revue)
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C’était le roi du stand-up américain. Adulé sur scène par le grand public, il menait en parallèle sur les écrans une carrière d’auteur singulier qui lui valait jusqu’ici la reconnaissance de la critique. Un Woody Allen plus trash, plus violent et plus étrange. En septembre dernier, il présentait son dernier film, I Love you, Daddy, au festival de Toronto. Les premières réactions étaient élogieuses. On attendait le film sur les écrans français. Deux mois plus tard, la sortie est pourtant annulée. Entre-temps, Louis CK a été épinglé, à son tour, par la presse américaine pour son comportement avec les femmes. Dans le sillage de l’affaire Weinstein, l’adulation a désormais cédé la place à la honte. Mais justement : et si la honte était la grande affaire de Louis CK ?
Sur le sujet voir aussi l’entretien de Geneviève Sellier dans Hors-Série
▻http://www.hors-serie.net/Aux-Ressources/2017-12-09/Cinema-un-homme-est-un-homme--id277
Je ne verrai jamais I love you daddy, le premier long métrage de Louis CK, l’un des auteurs américains les plus passionnants de l’époque. Les distributeurs ont décidé de ne pas sortir le film après qu’il a reconnu s’être masturbé devant plusieurs femmes non consentantes. Ce n’est pas dans l’air du temps de le dire et mon surmoi féministe me conseille de me taire mais : je n’arrive pas à me réjouir de cette annulation. Non seulement Louis CK n’est pas Harvey Weinstein, mais je pense qu’on a intérêt à voir ses oeuvres, précisément parce qu’il y explore avec lucidité et finesse ses démons, ses névroses, ses failles. Manifester contre la célébration de la personne de Polanski à la Cinémathèque et tenter de faire déprogrammer sa rétrospective n’équivaut pas à demander la censure de ses oeuvres, qui sont de toute façon accessibles. En revanche, la décision de ne pas diffuser un film se rapproche déjà plus d’une (auto)-censure. Et éveille en moi des craintes. Je sais, la critique du politiquement correct et de la bien-pensance est le registre préféré de la droite de Trump. Mais je ne peux pas m’empêcher de frissonner à l’idée d’un cinéma aseptisé labellisé « éthique » où l’on ne trouverait plus que des femmes émancipées et des hommes troquant leurs cigarettes pour des carottes bios.
Professeure émérite en études cinématographiques à l’Université Bordeaux Montaigne, Geneviève Sellier anime le blog Le Genre et l’Ecran, qui milite pour une « critique féministe des fictions audiovisuelles ». Autrement dit, elle incarne aux yeux des cinéphiles cette « police » féministe du cinéma tant redoutée. C’est donc à elle que j’ai proposé de faire une émission, histoire de faire un sort à mes angoisses de puritanisme.