• The Handmaid’s Tale : battez-vous pour votre droit, celui de faire la fête - Média Animation asbl
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    La nostalgie anticipée du présent

    Il est paradoxal de constater que la dimension politique de la série est en réalité son plus grand argument de vente. Sur la page Facebook animée par le site Hulu, chaque publication est accompagnée de phrases aussi inspirantes que ambiguës, invitant autant à la révolte qu’à la consommation (« il est temps de se réveiller - les nouveaux épisodes sont en ligne » ; « Existe-t-il un endroit où nous pourrions être en sécurité ? - Encore deux jours [avant les nouveaux épisodes] » ; « Il faut s’en aller - Nouveaux épisodes dans trois jours »).

    Et si les personnages lèvent le poing à l’écran, le casting semble lui décidé à garder ses mains dans ses poches, refusant par exemple que la série soit étiquetée comme féministe, allant jusqu’à déclarer que « une histoire qui présente un personnage féminin émancipé n’est pas forcément féministe. Il s’agit juste de l’histoire d’une femme, pas de propagande féministe ». Quid de la question raciale ? Alors que dans le roman original, Gilead est tenue par des suprémacistes blancs, la série n’aborde pas explicitement le sujet. Un choix qui semble peu réaliste puisque, comme le fait remarquer la journaliste Soraya Nadia McDonald, il est difficile d’imaginer que, dans un univers régi par autant de règles, une femme blanche issue de la bourgeoisie puisse adopter l’enfant métisse d’une servante noire sans susciter nulle réaction.

    Si l’univers des servantes est bien cauchemardesque, « l’avant » semble idéalisé : une société post-raciale où être une lesbienne noire n’est source d’aucune tension, il s’agit de toute évidence de science-fiction. Et si, sous ses apparences de révolutionnaire, The Handmaid’s Tale était en réalité une série conservatrice ? Certes, elle use d’images symboliques pour nous faire comprendre que nous vivons, en ce moment, la fin d’une ère. Mais le message qu’elle induit à première vue est qu’il s’agit de quelque chose de regrettable, nous mettant en garde contre la menace de nos libertés individuelles et le spectre d’un état trop puissant. Offred semble en effet avant tout nostalgique du frappucino qu’elle s’offrait après son footing. C’est une autre servante - noire - qui l’interpelle alors qu’elle sent naître en elle l’âme d’une résistante : « [Avant,] je me faisais baiser dans la rue pour pouvoir acheter de l’oxy et un happy meal. Je suis clean maintenant, je dors à l’abri chaque soir et des gens sont gentils avec moi. Ils sont gentils et je veux que ça continue. » [4] Offred déglutit en réalisant que ses idéaux révolutionnaires eux-même relèvent d’un privilège bourgeois, renvoyant le spectateur à un paradoxe inhérent au genre : si nous vivions réellement dans un monde apocalyptique, nous ne jouirions probablement pas du luxe de regarder une série télévisée, tranquillement installés dans notre canapé et c’est justement parce que l’anticipation repose sur la cristallisation de nos craintes qu’elle se révèle, d’un point de vue industriel, aussi rentable.

    Les femmes sont sommées de quitter leur bureau : la fin d’un monde, tout comme l’a été la faillite de la banque Lehman Brothers ?

    Cela ne veut pas dire que nous devrions nous contenter du monde - imparfait - dans lequel nous vivons, mais qu’il est nécessaire de mieux le représenter, afin d’identifier les véritables raisons pour lesquels il serait bon de s’insurger. L’univers de The Handmaid’s Tale ressemble étrangement au nôtre mais comme l’indique la journaliste Angela Nagle, si le taux de fertilité est aujourd’hui en baisse, ce n’est pas pour des raisons écologiques mais bien parce que la maternité est une aventure qui n’a rien d’enviable : période de repos trop courte, soins infantiles coûteux, sans compter que les femmes, en plus de se dédier à leur carrière professionnelle, continuent à assumer l’essentiel du travail domestique, se soumettant à davantage de stress et de problèmes de santé sans qu’aucune reconnaissance sociale ne leur soit accordée. La récente crise économique a par ailleurs contraint beaucoup de jeunes adultes à vivre chez leurs parents et la dette estudiantine a explosé, faisant passer de fait au second plan l’idée de fonder une famille. Dépeindre les protestations contemporaines comme un simple combat pour la conservation des acquis se fait au risque de ne pas dénoncer les inégalités et injustices sociales que génèrent nos systèmes économiques et politiques contemporains, terreau des colères qui ont notamment permis à Donald Trump et aux populismes de tous bords d’accéder aux Maisons Blanches de ce monde.