• Trois petits extraits autour de la notion de #frontières et de #territoire dans le livre de #Luc_Cambrézy, « Réfugiés et exilés : crise des sociétés, crise des territoires ».
    C’est plutôt inspirant.

    Les frontières politiques des Etats - parce qu’elles résultent de constructions sociales dans un espace continu - sont des limites anthropiques, nées de circonstances historiques particulières à chaque pays et à chaque cas. Cette observation s’oppose donc à l’idée qu’il y aurait de "bonnes" et de "mauvaises" frontières comme à l’hypothèse de l’existence de frontières "naturelles". On ne voit pas en quoi, en effet, le milieu d’un fleuve ou la crête d’une montagne constituerait une meilleure frontière et une limite moins artificielle qu’un tracé suivant un méridien. De ce fait, les propos habituels sur l’artificialité des frontières étatiques en Afrique s’effondrent et l’arbitraire de leur tracé ne peut en rien être interprété comme l’une des causes des guerres et du sous-développement. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les frontières interviennent si peu dans l’origine des guerres.
    Or, on continue d’entretenir l’idée qu’il y aurait des "bonnes" frontières permettant que la réalité de l’Etat-nation s’impose d’elle-même, comme une évidence. Le droit international - en affirmant l’intangibilité du tracé de limites politiques des Etats et l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre – a largement contribué à réifier la nation, ou tout au moins, son concept. Ce faisant, la multiplication des conflits identitaires et des mouvements sécessionnistes est à considérer au regard de ce culte de la frontière et du territoire. Ce culte fait le choix de la différence plutôt que celui du cousinage et du voisinage. Il est la conséquence d’une perception délibérément limitée du réel par les discontinuités que cette perception introduit dans l’espace comme dans le champ social. Or, cette limite, ces limites faudrait-il plutôt dire, sont celles que se donnent les sociétés, elles n’ont rien d’immanentes ; elle sont ce que le rapport d’une société avec les sociétés environnantes permet qu’elles soient. Comme pour l’ethnie, la division artificielle des territoires s’est partout imposée. Pour le meilleur comme pour le pire, elle gouverne le monde et semble empêcher de penser l’espace géographique et social comme une totalité - qui n’est pas infinie, certes - mais pourtant continue. (Cambrézy, 2001 : 209-210)

    Je ne nie pas l’existence des différences, je nie seulement la "qualité" des frontières lorsque celles-ci cristallisent des différences qui ne sont en fait que des nuances. Car les catégories dans lesquelles nous ordonnons le réel ne sont pas étanches ni même clairement définies, et les choses ne sont ni simples, ni blanches ou noires. Si elles l’étaient, alors l’histoire serait différente ; dans un vieil Etat-nation comme la France, nous n’aurions pas ce débat sur l’appartenance de la Corse à la République ; il n’y aurait pas eu, au Rwanda, des « Hutus modérés » massacrés ; il n’y aurait pas des Palestiniens de nationalité israélienne. A situation complexe, réponses complexes. Dès lors, le seul "mérite" des frontières, des catégories et des classes est de simplifier. Mais c’est toujours au risque du simplisme. (Cambrézy, 2001 : 210-211)

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