F – Fascisme | Entre les lignes entre les mots
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Penser le fascisme aujourd’hui, cela suppose que l’on s’éloigne de son approche politologique (le fascisme comme régime politique hyperviolent) ou économiste (le fascisme comme dictature du capital) et que l’on se déplace vers d’autres références : le fascisme comme affection d’une époque, pandémie dans le présent. Une modalité épidémique de l’« actualité » dont il s’agirait d’étudier les formes de virulence, le champ d’expansion, les symptômes, les manifestations. Réduire la question du fascisme aujourd’hui à sa dimension institutionnelle (les post-néo-fascistes parviendront-ils à se hisser au pouvoir en empruntant le chemin des urnes ?), c’est en ignorer les caractéristiques essentielles : le fascisme aujourd’hui, c’est ce qui prolifère au point de confluence de dispositions collectives, d’un affect de la masse (« les gens ») et de calculs politiques mobilisant deux motifs conjoints : law and order et « nettoyage » et élimination des indésirables, des « en-trop ». Ce sont des flux d’affects chargés de ressentiment, de désirs de mort à peine masqués, d’aspirations incontrôlées à des revanches obscures, de quêtes d’exutoires aux frustrations accumulées. Des flux en attente d’occasions de cristalliser sous forme de passage à l’acte et de dispositifs de pouvoir ou d’exercice de la capacité de nuire. John Berger le dit bien : le fascisme aujourd’hui, c’est « ce qui fait de ceux qui tentent de survivre [les migrants] des coupables », c’est ce qui se cristallise sous la forme de ces « nous » abjects dont les politiciens usent et abusent et auxquels il est vital que nous opposions une ferme eux – pas nous.
Réfléchir et travailler sur le fascisme au présent, c’est identifier ces lignes de mort qui strient notre actualité et la défigurent. Les désirs de mort sont toujours secondaires : ils prospèrent là où les aspirations, promesses et espérances vitales ont été non pas seulement déçues et trompées, mais délibérément saccagées par les gouvernants et, plus généralement, ceux qui fixent la règle du jeu. Les flux d’affects négatifs et les désirs de mort se bousculent au portillon du présent là où les flux de vie se sont fracassés contre la paroi de verre, la vitre blindée du « réel » – entendu comme ce dispositif général de gouvernement du vivant humain dont la règle première est l’entrave, l’empêchement et la réduction du champ des possibles de « la vie » des gens – le « gouvernement » entendu non pas seulement comme « domination », mais comme mise sous séquestre des puissances vitales – il s’agit bien de dissocier les gens de leur désir vital pour réorienter leurs énergies vers la vindicte.