• Tribune sur la liberté sexuelle : réponses choisies pour des morceaux de choix - Libération
    http://www.liberation.fr/france/2018/01/10/tribune-sur-la-liberte-sexuelle-reponses-choisies-pour-des-morceaux-de-ch

    D’après la tribune, des hommes auraient été jetés à la vindicte populaire et « contraints à la démission » parce qu’ils auraient « touché un genou ». Bref, un vent de « délation » soufflerait sur l’Hexagone. Sauf que, contrairement aux Etats-Unis, où une centaine de présentateurs, hommes politiques ou acteurs accusés publiquement de harcèlement ou d’agressions depuis l’automne ont disparu de la sphère publique, ce n’est absolument pas le cas en France. Aucune figure majeure du cinéma, aucun dirigeant du CAC 40 ou homme politique de premier plan n’a été mis en cause. Le licenciement par France 2 de Tex, l’animateur des Z’amours, après une blague à l’antenne sur les femmes battues, est régulièrement invoqué pour illustrer les supposées dérives de Balance ton porc. Seule une petite dizaine de noms ont circulé sur les réseaux sociaux et encore moins d’hommes ont vu leur carrière ou réputation brisée.

    Des enquêtes journalistiques ont visé le député Jean Lassalle, qui siège toujours à l’Assemblée ou, dans Libération, le président du Mouvement des jeunes socialistes (MJS) Thierry Marchal-Beck. Accusé par huit militantes, le dirigeant socialiste a en effet été remercié par son employeur, l’Union nationale des associations de tourisme (Unat). D’autres, comme l’ancien ministre Pierre Joxe, ont nié les faits (une agression à l’opéra) et la plainte visant le député macroniste Christophe Arend a été classée. De son côté, Eric Brion, ex-directeur général d’Equidia, avait déjà quitté la chaîne quand il est devenu le premier homme mis en cause après #BalanceTonPorc. Suspendu de LCP après une plainte pour agression sexuelle, Frédéric Haziza devrait, lui, revenir ce jeudi à l’antenne malgré l’ouverture d’une enquête préliminaire. Quant à la plainte pour harcèlement sexuel et moral contre Eric Monier, ex-directeur de la rédaction de France 2, elle a été classée pour prescription. Il reste directeur de la rédaction de LCI.

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    Non, la galanterie n’est pas une agression. Mais une façon de figer une asymétrie entre les sexes, oui. « Il y a plusieurs formes de galanterie, décrypte l’historien Alain Viala : la galanterie loyale, soit l’art d’être agréable dans tous les rapports sociaux, et la galanterie libertine, sexiste. » Dans cette conception, comme le dit une vieille expression : l’homme propose, la femme dispose. « Même si nous avons toutes le même cap, l’égalité, il y a toujours un sexe vulnérable, c’est ainsi, ça ne sert à rien d’être dans le déni, assure la chercheuse Claude Habib. Or la galanterie est une manière de traiter cette inégalité au bénéfice des femmes. Elles sont mises sur un piédestal et deviennent les juges des hommes. Elles civilisent le désir qui s’adresse à elles : ce n’est pas le réprimer, mais le changer à leur convenance. »

    Une vision qui présuppose donc une inégalité, non pas sociale mais naturelle, contre laquelle il serait inutile de lutter. Donner un cadre à la violence masculine serait l’option optimale. « La galanterie exprime et normalise des comportements de domination et de soumission, explique Réjane Sénac, chercheuse en sciences politiques. Elle met en scène la passivité des femmes, comme si l’amour était fondé sur cette complémentarité. » Impossible, donc, de s’imaginer comme des semblables, au risque de castrer la gent masculine à coups d’égalité. Mais contrairement à ce que sous-entend la tribune du Monde, remettre en cause une vision asymétrique des rapports hommes-femmes ne signe pas l’arrêt de mort des relations de séduction. Pour l’historienne Florence Montreynaud, « ce que certains redoutent en réalité, c’est qu’on ne tolère plus la goujaterie ».

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    « La vague purificatoire ne semble connaître aucune limite »

    Ni celle de l’outrance langagière. Après l’évocation en novembre par le directeur de la Cinémathèque française, Frédéric Bonnaud, d’un « choc totalitaire » exercé par des « demi-folles » en réponse aux manifestations féministes au lancement de la rétrospective Polanski, c’est une fois encore l’imaginaire totalitaire qui se trouve convoqué pour décrire le contexte post-Weinstein dans le secteur artistique. Entre autres exemples totalement déhistoricisés, la tribune cite la censure dans certaines villes (Londres, Hambourg, Cologne) des affiches publicitaires d’une exposition Egon Schiele prévue pour 2018 à Vienne, qui reprenaient des peintures de nus où apparaissent aussi bien des sexes masculin (l’Homme assis nu) que féminin (la Fille aux bas oranges) - un procès en obscénité banal, sans rapport direct avec les débats féministes en cours. Autre cas cité, une pétition protestant contre l’accrochage au Met d’un tableau de Balthus (Thérèse rêvant) taxé de « romanticiser la sexualisation d’une enfant » - accusation de promotion de la pédophilie dont le peintre fait l’objet depuis les années 30, sans impact significatif sur la diffusion de son œuvre.

    Après l’épisode Polanski (dont l’hommage est arrivé à terme sans encombre), la Cinémathèque française n’a pas fermé, son directeur pourtant prompt à vitupérer sans l’ombre d’une remise en question est toujours en place, et la rétrospective Jean-Claude Brisseau (dont le dernier film est sorti mercredi) devrait se tenir la saison prochaine. Quant à l’invocation de la pensée du philosophe Ruwen Ogien, et sa défense de la « liberté d’offenser » (en art), à l’appui d’une « liberté d’importuner » (dans la rue), elle instruit une confusion absurde entre espace de création et espace public, impertinence esthétique et domination masculine, liberté d’expression et atteinte à l’intégrité des individus.