ARNO*

Geek dilettante habitant une belle et grande propriété sur la Côte d’améthyste

  • Hier, je suis allé voir au cinoche le #film Impitoyable (1992) de et avec Clint Eastwood :

    Je vois que les critiques pour la ressortie en version restaurée sont carrément enthousiastes, sur les thèmes obligatoires : « western crépusculaire » (pitié !) et « ça n’a pas vieilli ».

    Mais je dois dire que je suis nettement plus partagé… je trouve que ça a globalement pas mal vieilli. (Pour préciser : celui-là je ne l’avais jamais vu.)

    – Essentiellement : le discours sur la violence qui avilit, depuis 25 ans, ça me semble tout de même avoir été beaucoup abordé, à la fois dans le cinéma mainstream et les séries télévisées. Le héros qui fait des cauchemars, où il voit les cadavres de ses victimes couverts de vers, c’était peut-être un peu original en 1992 après une décennie de films d’action bourrins, mais maintenant ça ne l’est plus. (Et puis même à l’époque, d’après ce que je sais de Shakespeare grâce à Gotlib, le coup des fantômes décomposés qui viennent te hanter, ça s’était déjà un peu vu depuis quelques siècles…). Plus sérieusement : ça faisait 15 ans que Hollywood pondait des films sur le Vietnam dont c’était le thème central ; si tu veux un discours sur la violence qui avilit et les contradictions des « valeurs » américaines, tu as Apocalypse Now en 1979 et The Deer Hunter en 1978.

    Et par-dessus le marché, je ne trouve pas le discours sur la violence tellement distancié : puisqu’à la fin, le personnage principal réduit à tomber dans la boue pour élever ses cochons et qui ne sait plus monter à cheval redevient un « héros », efficace, viril et déterminé, quand il zigouille froidement tout le monde et se remet à picoler. Et ensuite il rentre chez qui et s’occupe de ses gosses comme si de rien. Il y a un côté « a man’s gotta do what a man’s gotta do » avec lequel je ne suis jamais à l’aise.

    Le type qui fait l’intro avant le film explique que Gene Hackman fouettant Morgan Freeman, c’était même un message politique sur la condition noire. Genre courageux, parce que Rodney King en 1991. Bon, 1992 c’est aussi l’année du Malcom X très mainstream de Spike Lee, alors non, cette scène n’était pas particulièrement courageuse ou engagée même à l’époque.

    – Je me souviens qu’à l’époque, le film avait la réputation d’être violent. Alors franchement : non. Même dans le genre western, des trucs plus violents et malsains, les années 70 en ont donné beaucoup. La Horde sauvage de Peckinpah, ça remonte à 1969 tout de même. Un Homme nommé cheval, c’est 1970 et j’en fais encore des cauchemars. Alors certes, le plan sur le visage du tireur juste avant qu’il abatte sa victime, soit avec un regard paniqué (le jeune myope), soit froid (notre vieux Clint), c’est plus intéressant que la violence graphique elle-même, mais encore une fois, ça me semble plutôt faire partie du vocabulaire usuel de la violence désormais.

    – Les critiques semblent passionnés par le fait que le film « dynamiterait » systématiquement les codes du western. M’enfin en 1992, c’est déjà un peu tard. Du dynamitage des codes du western et des films avec anti-héros, il y en a tout de même eu beaucoup auparavant, ce serait même tout l’intérêt du genre.

    – Visuellement, je n’ai pas trouvé ça transcendant non plus. Ça joue hors de l’esthétisme appuyé des grands classiques des années 50, ça n’insiste pas sur les constructions de plans et les effets à la Sergio Leone, et ça se veut plus à la recherche du réalisme. Mais bon, du coup, les deux plans « jolis » avec la tombe de sa femme en silhouette sur fond de soleil couchant (et musique mièvre à la guitare), hé ben c’est pas du John Ford ; et à l’inverse, dans la recherche d’un réalisme boueux, viscéral, il y avait déjà mieux avant (les années 70 notamment), et beaucoup depuis. Et comme ça me semble filmé « à la papa », ça ne me semble pas exploiter les outils d’immersions désormais systématiques quand on veut donner des effets de réel. Visuellement du coup ça me semble avoir le cul entre deux chaises, et avoir vieilli.

    – Les personnages sont légèrement décevants. Certains ne sont quasiment pas traités (les prostituées, pourtant centrales, je trouve qu’elles manquent cruellement de développement). Le shérif (Gene Hackman) est le seul intéressant (bon, English Bob est pas mal aussi, parce qu’il a un rôle assez court). Les deux cow-boys à abattre sont très peu développés, mais c’est peut-être exprès. Mais plus décevant, ce sont les 3 principaux, que je trouve pas passionnants, alors que le film se passe essentiellement sur eux, dans un film de tout de même 2 heures. Et leur petit parcours (Clint qui redevient froid et violent pour venger son pote, le jeune prétentieux qui ne veut plus tuer) est de toute façon excessivement prévisible.

    Alors c’est pas un navet, l’humour un peu distancié fonctionne bien, le côté « on sent que ça va mal finir et on n’est pas déçu » fonctionne bien aussi, et les 2 heures passent assez vite. Mais honnêtement, ça m’a pas transporté d’enthousiasme non plus.

    • @arno

      si tu veux un discours sur la violence qui avilit et les contradictions des « valeurs » américaines, tu as Apocalypse Now en 1979 et The Deer Hunter en 1978.

      Où je comprends, avec retard, que peut-être ces deux films dont je ne me souvenais plus qu’ils étaient à ce point voisins dans le temps, et que j’ai tous les deux vus à leur sortie, ces deux films ont sans doute joué un rôle déterminant sur mon édification personnelle et m’auront assez sûrement vacciné contre l’attrait pour une violence bien graphique. Au point, même, de tarir un peu mon goût naturel pour les films de James Bond qui, eux, n’auront jamais cessé de croître en matière de déluge de violence graphique, il n’est que de constater à quel point le duel final, qui se finit quasiment à chaque fois aux poings, après qu’un arsenal assez exhaustif a été essayé de part et d’autre, ce duel final dure de très longues minutes. Il y a peu j’ai revu James Bond contre Docteur No et j’ai été stupéfait que le duel final entre les deux ne dure qu’une vingtaine de secondes (ce qui à l’époque, 1964, devait paraître comme ultra violent)

    • Oui c’est étonnant cette concordance. Surtout qu’ensuite il n’y a quasiment plus rien de potable sur le Vietnam : après le premier Rambo (1982), il n’y a plus grand chose en dehors des trucs du genre « Missing in Action ». Il y a La Déchirure (1984) de Roland Joffé sur le Cambodge.

      Et tout d’un coup, hop une nouvelle série de films en juste 3 ou 4 ans :
      Platoon (1986)
      Full Metal Jacket (1987)
      Hamburger Hill (1987)
      Good Morning, Vietnam (1987)
      Outrages (1989)
      Né un 4 juillet (1989)
      L’échelle de Jacob (1990)
      Les deux derniers n’étaient pas « au » Vietnam, on n’est déjà plus dans le film de guerre. (Et j’ai mis Good Morning Vietnam parce que c’est très connu, mais j’ai jamais aimé ce film.)

      Et puis plus rien. Je ne vois guère que We Were Soldiers de Mel Gibson en 2002.

    • Sur la violence des films des années 70, on revient à ce qu’on disait avec Alien (1979) : mon expérience est chronologiquement inverse à la tienne. :-) Je n’ai découvert les films des années 70 qu’à la fin de mon adolescence, donc la deuxième moitié des années 80, généralement en vidéo.

      Du coup, ces films traumatisants de ces années, Taxi Driver (1976), Straw Dogs (1971), Délivrance (1972), et même L’Exorciste (1973) et Massacre à la tronçonneuse (1974), j’ai découvert ça près de 15 ans après leur sortie. Et j’avais déjà vu un bon nombre de James Bond avant :-))