• La psychiatrie en grande souffrance, Journal officiel de tous les pouvoirs

    Ecrasés par les restrictions budgétaires, les soignants se disent à bout et dénoncent une « perte de sens » de leur travail

    Il y a chez eux de la fatigue, du désarroi et de la colère. Depuis des mois, des médecins et des soignants du secteur psychiatrique multiplient grèves et lettres ouvertes aux autorités sanitaires pour alerter sur la dégradation de leurs -conditions de travail en raison des restrictions budgétaires. Et, par conséquent, sur la détério-ration de la prise en charge des malades.

    Après des années de restructurations et de non-remplacement systématique des départs, plusieurs responsables syndicaux estiment que ce service public est désormais « à l’os ». « On nous pressurise depuis des années, on est arrivé à un point de bascule », assure Jean-Pierre Salvarelli, membre du Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH) et chef de pôle au Vinatier, à Lyon, l’un des plus gros hôpitaux psychiatriques de France. L’année dernière, 52 postes de soignants ont été supprimés dans cet établissement. « Les infirmières et les aides-soignantes se démultiplient pour boucher les trous, dit-il. Mais les équipes n’en peuvent plus. »

    Turnover et absentéisme

    D’un bout à l’autre de la France, les mêmes maux et les mêmes symptômes : des taux d’absentéisme élevés, un fort turnover des personnels, des postes de médecins non pourvus (il manquerait 900 à 1 000 psychiatres, selon le SPH), des lits en nombre insuffisant dans certains services, notamment aux urgences, et des patients à accueillir toujours plus nombreux.

    Entre 2010 et 2016, près de 300 000 personnes supplémentaires ont été suivies en psychiatrie. « Les ressources n’ont pas augmenté proportionnellement à la croissance de la file active, constate Magali Coldefy, géographeà l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes). Faute de moyens, la psychiatrie a tendance à se replier sur l’intra-hospitalier et la gestion de la crise et de l’urgence. »

    Signes extérieurs du malaise ambiant, les établissements -d’Allonnes (Sarthe), Bourges (Cher) ou Rennes (Ille-et-Vilaine) ont connu ces derniers mois des mouvements de grève. Le 5 janvier, sept anciens psychiatres de l’hôpital Philippe-Pinel, à Amiens (Somme), ont écrit à la ministre de la santé Agnès Buzyn pour lui expliquer pourquoi la « dégradation continuelle des conditions de prise en charge des patients » avait pesé dans leur choix « douloureux » de quitter l’hôpital public. Dans leur courrier, ils dénoncent un « hôpital en déshérence » et une « souffrance éthique et professionnelle à son paroxysme ».

    La gravité de la crise commencerait-elle à être perçue au-delà des enceintes des hôpitaux psychiatriques ? La députée (La République en marche) de la Somme Barbara Pompili a dit sa « honte » après avoir visité l’établissement d’Amiens le 3 novembre 2017. « La faiblesse hallucinante des effectifs transforme cet hôpital en gigantesque garderie, avec toutes les conséquences que cela peut avoir pour ceux qui sortent, comme pour ceux qui ne sortent pas », avait-elle écrit. Quant à François Ruffin (La France insoumise), l’autre député du département, il a récemment publié un livre (Un député à l’hôpital psychiatrique, Fakir éditions) dans lequel il raconte les difficultés et les dysfonctionnements de ce même hôpital.

    Les restrictions budgétaires ont différents types de conséquences. Au sein même des hôpitaux, de nombreux infirmiers, dont les témoignages ont été recueillis après un appel lancé sur le site du Monde, disent ne plus avoir le temps de parler avec les patients hospitalisés ou d’effectuer avec eux des activités thérapeutiques. « On est accaparé par l’urgence et le quotidien. Nous n’avons plus le temps de faire des entretiens avec les patients, de prendre un café avec eux, ou de les accompagner pour qu’ils puissent téléphoner. Cela génère des situations d’agressivité et de violence plus fréquentes. Et nous, on a le sentiment de mal faire notre travail, d’être maltraitants », raconte Marion, 25 ans, infirmière dans un gros hôpital de province.

    Motivation en berne

    « Quand je suis arrivé à l’hôpital il y a quelques années, on faisait encore des sorties au musée, au cinéma ou au cirque, témoigne-Cyril, infirmier dans un hôpital du sud de la France. Cette année, nous n’avons pas prévu d’en faire car nous arrivons à peine à tenir le planning et à assurer la continuité du service. » " Je ne suis qu’un garde-fou, nous n’avons plus les moyens et la motivation d’être soignant « , estime un infirmier à Agen, résumant ainsi la » perte de sens « ou l’amertume racontées au Monde par de nombreux professionnels de santé.

    Car pour répondre à la violence, lorsque les effectifs manquent, les recours à la chambre d’isolement (une pièce sécurisée avec matelas fixé au sol) et à la contention peuvent augmenter. En 2016, le contrôleur général des privations des lieux de liberté avait dénoncé la » banalisation « de ces pratiques.

    Après avoir fermé près de 15 000 lits de psychiatrie entre 1997 et 2015, les hôpitaux n’arrivent pas aujourd’hui à prendre en charge correctement tous les patients. Face à la hausse du nombre d’hospitalisations sous contrainte (92 000 personnes en 2015), il n’est pas rare que des unités de soins prévues pour 20 patients en accueillent davantage. » C’est la course aux lits, pour faire de la place, on fait sortir les malades dès qu’ils ne représentent plus un danger direct pour eux ou pour les autres, raconte Marie, 41 ans, psychiatre dans un établissement de la région parisienne. L’absence de lits est devenue un critère dans la durée de soins des patients, autant, voire parfois plus, que l’aspect médical. « 
    Une autre infirmière exerçant dans un hôpital du sud de la France fait état de patients obligés de rester en chambre d’isolement, » alors qu’ils n’en ont plus besoin au niveau psychiatrique « , par manque de place.

    Jean Vignes, le secrétaire général du syndicat SUD-Santé-Sociaux, juge d’ailleurs la situation » tellement tendue « qu’il plaide pour la réouverture » au moins de façon provisoire « d’un millier de lits. Pour justifier cette revendication en demi-teinte, il explique que son organisation était historiquement » pour la diminution du nombre de lits « , mais » à condition d’avoir les moyens d’assurer le suivi en extra-hospitalier « .

    Or, c’est cette prise en charge, assurée hors des murs des établissements psychiatriques, par notamment les centres médico-psychologiques (CMP), émanations de l’hôpital présentes partout sur le territoire, qui semble aujourd’hui le plus souffrir des restrictions budgétaires. » On a mécaniquement tendance à alléger l’ambulatoire - le suivi à l’extérieur - et à rapatrier les ressources vers les services d’hospitalisation. C’est l’hôpital qui prime, c’est un retour à l’asile « , déplore Isabelle Montet, la secrétaire générale du SPH.
     » On est obligé de se retirer des endroits où vivent les gens parce que nous sommes contraints de centrer nos efforts sur ce qui est incontournable pour la société, c’est-à-dire accueillir les patients qui relèvent de soins non consentis « , explique le docteur Marie-José Cortes.

    Une nouvelle organisation

    Un poids grandissant de l’hôpital, vu comme un retour en arrière par de nombreux professionnels, qui heurte aussi les associations de patients. » Je ne pense pas qu’il y ait un manque réel de moyens, de personnels et de lits « , estime ainsi Claude Finkelstein, la présidente de la Fédération nationale des associations en psychiatrie (Fnapsy). Pour elle, » on travaille encore à l’ancienne « dans le domaine de la psychiatrie, et » trop de gens sont à l’hôpital parce qu’on ne sait pas où les mettre « . » Il ne faut pas colmater, mais réfléchir à une nouvelle organisation des soins « , ajoute -Fabienne Blain, porte-parole du collectif Schizophrénie, qui demande une vaste réallocation des moyens consacrés à la psychiatrie.

    François Béguin

    Pour les enfants, jusqu’à un an d’attente avant un rendez-vous

    Du côté des petits patients, des délais d’attente inadmissibles pour une première consultation et un manque de lits d’hospitalisation. Du côté des pédopsychiatres, une crise démographique et universitaire, qui rend la spécialité de moins en moins attrayante. La psychiatrie des enfants et des adolescents est » sinistrée « , selon le sénateur (LRM) et médecin Michel Amiel, rapporteur, en mai 2017, d’un volumineux rapport d’information parlementaire sur la psychiatrie des mineurs en France.

    Le repérage et la prise en charge précoce des troubles psy des jeunes sont considérés comme une priorité. Mais au regard de la forte hausse des besoins et aux nouveaux défis liés notamment au décrochage scolaire, au harcèlement ou aux traumatismes liés aux attentats, » le nombre de structures de prise en charge et leurs effectifs ont très peu augmenté « , constate ce rapport. Les CMP (centres médico-psychologiques) et CMPP (centres médico-psychopédagogiques), bien souvent structures d’entrée dans le parcours de soins psychiatriques, sont engorgés. Le délai pour une première consultation dépasse un an dans certains départements, désespérant familles et professionnels. » On a des demandes de 2016 auxquelles on n’a pas répondu. On a honte. On voit tous les dégâts qu’on aurait pu éviter, les souffrances qu’on aurait pu atténuer « , témoigne une pédopsychiatre exerçant dans un CMP de province.

    Le nombre de lits d’hospitalisation en pédopsychiatrie est en augmentation depuis 2001, mais les capacités sont encore trop limitées, avec de fortes inégalités territoriales, souligne le rapport. Le délai d’obtention d’une place en hôpital de jour – l’essentiel des prises en charge hospitalières des mineurs – est lui aussi jugé important.

    Cercle vicieux

    Quant au nombre de pédopsychiatres inscrits en tant que tels au conseil de l’ordre des médecins, il a été divisé par deux en dix ans. De 1 235 en 2007, il est passé à 593 en 2017, dont 80 % ont plus de 60 ans. Certes, ces chiffres sont à prendre avec précaution, car le dénombrement précis de ces praticiens est complexe,la pédopsychiatrie n’étant pas une spécialité médicale distincte de la psychiatrie. Mais la désaffection est indéniable, et contribue à un cercle vicieux. Moins il y a de pédopsychiatres, moins il y a de formateurs et donc de nouvelles vocations.

    En France, une faculté de médecine sur cinq n’a pas de professeur d’université en pédopsychiatrie. » A Nantes, je suis le seul enseignant universitaire de psychiatrie de l’enfant pour la soixantaine d’internes en psychiatrie. Comment les former convenablement et quelle perspective de carrière académique puis-je proposer aux jeunes qui voudraient travailler avec moi ? « , s’interroge le professeur Olivier Bonnot, chef du service de pédopsychiatrie du CHU. » Le constat est connu, la solution aussi, mais on reste souvent dans l’injonction paradoxale, regrette le pédopsychiatre et chercheur Bruno Falissard. Les politiques demandent de nommer un professeur de pédopsychiatrie dans chaque université, mais celles-ci sont autonomes, ce sont elles qui jugent si le cursus d’un candidat est suffisant. « 
    Sandrine Cabut

    Agnès Buzyn : » Il faut préserver les moyens de la psychiatrie « 

    La ministre de la santé annonce un plan comportant des mesures de formation, de hausses de tarifs et la création d’indicateurs de qualité

    La ministre de la santé Agnès Buzyn présente, vendredi 26 janvier, un plan de douze mesures d’urgence en faveur de la psychiatrie. Dans un entretien au Monde, elle livre son constat sur ce secteur, » paupérisé « et » en souffrance «  : » En psychiatrie, il y a le pire et le meilleur. « 

    Plusieurs grèves ont eu lieu ces derniers mois dans les -hôpitaux psychiatriques pour dénoncer les conditions de -travail et la dégradation de -l’accueil des patients. Y a-t-il une » crise « de la psychiatrie ?

    C’est une discipline qui s’est paupérisée et sur laquelle il n’y a pas eu un vrai investissement depuis des années. Pourtant les besoins sont en constante augmentation, parce que la société est de plus en plus dure, qu’il y a plus d’addictions, moins d’accompagnement des familles… On peut dénoncer des conditions de travail parfois très dures, ainsi que des conditions d’hospitalisation parfois dégradées, mais il faut être attentif à ne pas généraliser les -situations dramatiques que l’on peut observer dans certains endroits. Ce -serait dévaloriser le travail -formidable qui est fait dans beaucoup d’établissements de santé mentale. En psychiatrie, il y a le pire et le meilleur.

    Qu’allez-vous faire face à un tel constat ?

    Ces cinq dernières années, il y a eu six rapports sur la situation de la psychiatrie. Les constats et les recommandations étaient souvent les mêmes. Je me suis dit qu’il n’était donc pas nécessaire d’en commander un nouveau. Les douze mesures d’urgence que je présente aujourd’hui sont issues des propositions formulées en décembre par l’ensemble des représentants de la psychiatrie française. Il me semble important de donner un signal de prise en compte de cette souffrance générale, des professionnels et des malades. Ce faisant, je veux parvenir à déstigmatiser ces derniers, et rendre leur dignité à ceux qui sont pris en charge dans des conditions déplorables. Le regard de la société sur ce secteur doit changer.

    Le manque de moyens financiers mis en avant par les soignants est-il une réalité ?

    Dans beaucoup d’endroits, les psychiatres tirent la sonnette d’alarme sur les moyens parce que leur activité est la variable d’ajustement du budget du reste de l’hôpital. Vu la faiblesse et la souffrance du secteur psychiatrique, je souhaite que les moyens de cette discipline soient préservés. Cela n’a pas de sens - pour un établissement - de compenser une baisse d’activité dans des services de médecine ou de chirurgie par un prélèvement sur la psychiatrie. Par ailleurs, cette discipline doit totalement être intégrée au monde de la santé, avec la même exigence de qualité, de sécurité des pratiques et de pertinence des soins qu’ailleurs. Or aujourd’hui des patients hospitalisés en psychiatrie n’accèdent pas suffisamment à des soins somatiques, ce qui peut être délétère pour leur santé. Leur espérance de vie est plus courte, ce n’est pas tolérable. Il faut que les filières de soins s’organisent et que ces malades puissent bénéficier du même suivi que les autres.

    Vous dites que les budgets hospitaliers seront » préservés « . Donc pas augmentés…

    Annoncer des moyens sup-plémentaires n’est pas toujours -l’alpha et l’omega en matière de bonnes pratiques. C’est même parfois la solution de facilité. Il vaut mieux d’abord faire en sorte que les professionnels s’organisent et se parlent plutôt que de systématiquement rajouter des moyens dans des endroits qui sont mal organisés ou qui ne respectent pas les bonnes pratiques.

    Comment remédier à cette -hétérogénéité des pratiques et de l’offre ?

    L’organisation en secteurs, créée dans les années 1960 pour garantir un accès aux soins sur tout le territoire, doit être maintenue mais améliorée. Il faut que les psychiatres de secteur, les généralistes et les acteurs du médico-social se parlent et mettent en place des filières de prise en charge. Les différentes chapelles de professionnels de santé mentale doivent aussi un peu baisser la garde, car nous avons besoin de tout le monde pour assurer les soins sur le territoire. D’ailleurs j’ai décidé de créer et de présider un comité stratégique de la santé mentale et de la psychiatrie, qui va remplacer l’actuel conseil national de santé mentale.

    Jusqu’ici la psychiatrie a » échappé « à tout système d’évaluation…

    Il y a trop peu d’indicateurs de qualité en psychiatrie. Il faut pouvoir mesurer l’usage de médicaments, la précocité des diagnostics ou la rapidité d’une prise en charge. On ne peut pas restructurer une discipline sans avoir une vision claire de l’état des pratiques. Quand j’étais présidente de la Haute Autorité de santé (HAS), j’ai lancé cette démarche sur les recours à l’isolement ou à la contention, dont le contrôleur général des lieux de privation de liberté avait dénoncé la banalisation. Aujourd’hui ministre, j’ai demandé à la HAS de travailler sur des nouveaux indicateurs pertinents. Mon objectif est que partout en France, on ait les mêmes chances d’accéder à une filière de qualité.

    Qu’en est-il de la pédopsychiatrie, où jusqu’à un an d’attente est parfois nécessaire pour un premier rendez-vous ?

    La démographie est en chute libre dans cette spécialité. Les professionnels sont débordés, et les universitaires ne peuvent plus faire d’enseignement et de recherche tellement il y a de patients à prendre en charge. C’est un cercle vicieux, plus personne ne veut s’investir. Il y a des régions entières où il n’y a pas de formation. Je souhaite donc qu’il y ait au moins un poste de professeur de pédopsychiatrie par faculté de médecine. C’est un premier pas indispensable pour retrouver l’attractivité.

    Cela suffira-t-il à résoudre une situation aussi critique ?

    Nous allons, avec l’Assurance-maladie, réévaluer les tarifs d’un certain nombre de consultations qui ne sont pas assurées en libéral aujourd’hui parce que trop longues par rapport au tarif de la Sécurité sociale. Recevoir un enfant, cela prend du temps. Résultat : on ne trouve pratiquement pas de pédopsychiatres en ville. Ce sera également le cas pour les consultations complexes de psychiatrie en médecine générale. Le suivi ambulatoire est souvent perçu comme moins stigmatisant que le suivi hospitalier, il va permettre de réduire les ruptures de soins

    Quel doit être le rôle des médecins généralistes ?

    Ils sont plus ou moins bien armés vis-à-vis des problèmes de santé mentale, notamment des enfants. Il faut qu’ils soient formés de manière à les repérer, puis qu’ils sachent à qui adresser les malades. Beaucoup de situations pourraient être prises en charge en médecine générale. C’est pourquoi tous ces futurs praticiens effectueront un stage obligatoire en psychiatrie au cours de leurs études. Trois ou six mois, les modalités restent à discuter.

    La suppression il y a vingt-cinq ans de la spécialisation des infirmiers en psychiatrie est pointée comme un problème. Faut-il revoir leur formation ?

    Je souhaite que les infirmiers qui exercent dans ces services acquièrent une » sur-spécialité « dans ce domaine, par le biais des pratiques avancées. Sans pour autant recréer un corps spécifique, cela permettra de répandre la bonne pratique dans les établissements, et d’assurer certaines tâches aujourd’hui dévolues aux psychiatres.

    Les prisons traversent une grave crise. Or autour d’un quart des détenus souffre de troubles psychiatriques. Que doit-on faire avec eux ?

    Il existe des unités hospitalières spécialement aménagées pour recevoir des détenus présentant un trouble de santé mentale. La première unité s’est ouverte à Marseille en septembre 2017 avec 440 places. La stratégie nationale de santé prévoit de poursuivre la création de ces unités.

    Propos recueillis par François Béguin, Sandrine Cabut, et Laetitia Clavreul

    LES MESURES
    Agnès Buzyn, la ministre de la santé, présentait vendredi 26 janvier son plan d’action

    Stage obligatoire
    Un stage sera obligatoire en -psychiatrie ou en santé mentale pour tous les futurs médecins généralistes lors de leur -internat

    Formation continue » Sur-spécialisation " des infirmiers travaillant en psychiatrie, via la formation continue [la suppression du diplôme d’infirmier psychiatrique date de 1994 nec
    http://psychiatriinfirmiere.free.fr/formation/infirmier/psychiatrie/infirmier-secteur-psychiatrique.htm

    Bonnes pratiques
    Mise en place d’indicateurs de la qualité des soins et de recommandations de bonnes pratiques en psychiatrie

    Révision des tarifs
    Revalorisation du montant des consultations de pédopsychiatrie et des consultations complexes de psychiatrie en médecine générale lors d’une prochaine révision de la convention médicale

    Budget des hôpitaux
    Préservation des budgets consacrés à la psychiatrie au sein des -groupements hospitaliers de -territoires et dans les hôpitaux généraux d’ici la fin d’année

    De la psychiatrie vers la santé mentale, Rapport de mission , Dr Eric Piel, Dr Jean-Luc Roelandt, juillet 2001
    https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2001-4-page-9.htm

    Entre 1990 et 1997, dans le secteur public, l’évolution des pratiques de prise en charge s’est traduite à la fois par une augmentation du nombre de places d’hospitalisation partielle (+25 %) et par une forte baisse du nombre de lits d’hospitalisation complète (-32 %). La hausse des capacités d’hospitalisation partielle (+4 861) n’a toutefois pas compensé la diminution des lits d’hospitalisation complète (-26 711), d’où un recul de la capacité totale en lits et places de 21 % sur sept ans.

    #psychiatrie #soin #management

    • Christophe Dejours, psychiatre : « Les soignants sont contraints d’apporter leur concours à des actes qu’ils réprouvent », Propos recueillis par Catherine Vincent, LE MONDE IDEES | 15.02.2018

      Depuis quatre ans, ce psychiatre reçoit en consultation des « grappes » de médecins, souvent chefs de service, dans des états psychiques préoccupants.

      Psychiatre, psychanalyste, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), Christophe Dejours est spécialiste en psychodynamique du travail. Il a récemment publié Le Choix. Souffrir au travail n’est pas une fatalité (Bayard, 2015) et Situations du travail (PUF, 2016).

      Depuis quelques années, vous recevez dans votre cabinet des psychiatres des hôpitaux en grande souffrance. Que se passe-t-il ?

      Il s’agit souvent de chefs de service, qui sont dans des états psychiques préoccupants – états de confusion mentale, problèmes somatiques gravissimes. J’ai commencé à les voir arriver par grappes il y a environ quatre ans. Or, si de nouvelles formes de pathologie liées au travail apparaissent, c’est que quelque chose a changé dans son organisation. En l’occurrence, la généralisation des méthodes du New Public Management [« nouvelle gestion publique », NPM] aux services de soins.

      En quoi ces techniques de gestion rendent-elles malades les psychiatres hospitaliers ?

      Tous me font une description similaire de leur situation. Ce sont toujours des cliniciens fortement engagés, depuis de longues années, dans la pratique en institution. La décompensation psychopathologique survient quelques mois ou quelques années après l’arrivée d’un nouveau directeur, le plus souvent un jeune gestionnaire. Après un audit, celui-ci met en place des outils d’évaluation et des protocoles de soins. Avec deux priorités : des objectifs quantitatifs et des performances mesurables. Entre les deux, le gestionnaire ne veut rien savoir. Résultat : des conditions de travail ingérables pour les chefs de service. Ils doivent d’un côté diriger des équipes qui n’arrivent plus à fonctionner, de l’autre affronter une administration qui ne cesse de les harceler avec une série d’exigences n’ayant rien à voir avec leur métier. Cela provoque chez nombre d’entre eux des décompensations brutales qu’on ne voyait pas auparavant.

      Recevez-vous également des médecins hospitaliers non psychiatres ?

      Moins. D’une part parce que les psychiatres sont plus habitués que d’autres, quand ils vont mal, à aller voir un psychanalyste, d’autre part parce qu’ils connaissent mieux la psychodynamique du travail. Mais la souffrance est la même pour le cardiologue, le radiologue, l’anesthésiste ou le diabétologue.

      Pourquoi les méthodes du NPM sont-elles néfastes au travail des praticiens ?

      Autrefois, les hôpitaux étaient systématiquement dirigés par un médecin formé en administration-gestion. Depuis le tournant gestionnaire des années 2000, ils sont dirigés par un gestionnaire. La gouvernance par les nombres a ainsi remplacé un gouvernement qui faisait référence à des règles. Des règles de droit (du travail, de la protection des salariés), mais aussi des règles de métier, des manières de travailler qui exigent le respect de certains principes. L’administrateur d’un service hospitalier dirigeait sur la base de ces règles de métier, dont il connaissait le langage et les valeurs. Cela produisait ce qu’on appelle l’ethos professionnel : une éthique fondée sur la connaissance du métier, qui organise le savoir-vivre, la convivialité et le respect de l’autre sur le lieu du travail.
      Comment cet ethos est-il affecté par la gouvernance du nombre ?

      Les gestionnaires ne connaissent pas le travail et ne veulent pas le connaître. Cela fait partie des principes des sciences de la gestion : ne rien savoir des règles de métier, pour asseoir sa domination et ne pas avoir à faire de compromis. Tout ce qui importe, c’est de mesurer les performances. Or les performances en question ne mesurent pas le travail du soin, et ne le mesureront jamais. On peut mesurer la qualité d’un traitement – et encore. Mais la relation avec le patient est du domaine de la subjectivité, sa qualité ne dépend pas que du soignant. Elle dépend aussi du patient, de la coopération qui se constitue entre le prestataire et le destinataire du service du soin. Que vous soyez cardiologue, gastro-entérologue ou cancérologue, il faut que le patient travaille avec vous à son traitement. Et ça, ce n’est pas mesurable.

      Les médecins en souffrance que vous recevez évoquent toujours un contexte marqué par la solitude. Que devient, dans ce système managérial, la solidarité professionnelle ?

      Elle est réduite à néant, à l’aide d’un outil très simple : l’évaluation individualisée des performances. Cette dernière, qui est aussi une menace de sanction ou de licenciement, a des effets extrêmement puissants sur les relations entre les gens. Elle ouvre la voie à la concurrence déloyale, elle altère le savoir-vivre, le respect de l’autre, la solidarité, elle casse le collectif et introduit la peur dans le monde du travail. Il en résulte un affaiblissement de chacun et un accroissement de la solitude.
      Cette gestion entraîne donc la détérioration de notre travail, qui fait elle-même le lit de la maltraitance. Les soignants sont ainsi contraints d’apporter leur concours à des actes qu’ils réprouvent moralement : c’est ce que l’on appelle la souffrance éthique. Or cette souffrance est extrêmement grave : à force de trahir les règles du métier, à force de trahir les collègues qu’on ne défend pas, on finit par se trahir soi-même, ce qui ruine les bases éthiques de l’identité.

      Avec quelles conséquences ?

      Face à cette souffrance éthique, il y a deux réactions possibles. Soit on parvient à développer une stratégie de défense, ce qui produit une insensibilisation du soignant à la souffrance de l’autre. C’est la porte ouverte à la maltraitance chronique, et cela explique également les mauvais traitements que subissent, sur leurs lieux de stage, les étudiants – dont la bonne volonté et la sensibilité à la souffrance des malades réveillent la mauvaise conscience des soignants, heurtant de plein fouet leurs stratégies de défense. L’autre réaction, c’est la décompensation brutale, avec le risque de passage à l’acte. Cette souffrance éthique est l’élément déterminant de l’apparition des suicides sur les lieux de travail, chez les médecins et soignants hospitaliers comme partout ailleurs.