• Anachronie, Bernard Aspe | La Division Politique
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    Conflict of times

    Saint-Pétersburg, 25 octobre 2017

    Je ne parlerai pas de la révolution russe : d’autres peuvent ici le faire bien mieux que je ne le pourrais. J’en retiendrai cependant un élément : son anachronisme. Par là, je ne veux pas seulement dire que la référence à la révolution russe, à Lénine, aux soviets, est anachronique dans un monde où chacun est censé savoir que ces noms ne peuvent nommer qu’un échec ancien ; que, même si l’on cherche à lutter contre le capitalisme, on ne peut s’appuyer sur eux, et sur les expériences auxquelles ils renvoient.

    Il est vrai que, même sur ce point, quelque chose a changé, depuis au moins une dizaine d’années. Les années d’hiver ont pris fin. La possibilité d’une révolution est de plus en plus audible. Et plus encore, peut-être, sa nécessité. Mais c’est l’un des problèmes : sa nécessité est beaucoup plus évidente que sa possibilité. Qu’il soit nécessaire d’interrompre le processus d’accumulation capitaliste et les effets désastreux qu’il entraîne, et que cette nécessité soit toujours plus urgente : cela peut relever d’une évidence toujours plus répandue. En revanche, savoir comment peut s’opérer cette interruption, c’est ce qui reste éminemment problématique.

    Mais lorsque je parlais d’anachronisme, je pensais à autre chose. La révolution russe, et en particulier cet événement dont nous célébrons aujourd’hui l’anniversaire en oubliant le décalage des calendriers, n’a pas eu lieu au « bon » moment. Elle a eu lieu au moment où l’on pouvait trouver toutes les bonnes raisons de dire : « les conditions ne sont pas encore réunies », ou « l’insurrection est prématurée ». Elle a eu lieu en brisant la linéarité d’un temps dont beaucoup auraient voulu qu’il soit par lui-même porteur d’un progrès graduel, appelant la patience, et ainsi apparenté au temps du développement du capital. En ce sens, elle fait paradigme de ce qu’un acte révolutionnaire introduit toujours un décalage dans le temps, un élément proprement anachronique.