• A #Gaziantep, les #fonds de l’UE bénéficient aux #réfugiés_syriens

    Vues du modeste appartement de Nahla, trois pièces mal chauffées en sous-sol d’un immeuble situé dans un quartier populaire de Gaziantep, les arrière-pensées politiques de l’accord Union européenne (UE)-Turquie sur les migrants semblent bien loin. « Mon loyer est de 400 livres turques [85 euros] par mois et les charges de 200 », explique cette veuve syrienne, qui, avec ses neuf enfants, a fui Alep, dans le nord de la Syrie, pour la Turquie en 2013.

    Pour payer ces frais et « nourrir ses enfants », elle ne pouvait compter, jusqu’au début de 2017, que sur le salaire au noir de son fils aîné comme plâtrier, les quelques dizaines de livres que lui verse une usine locale pour assembler des pièces de pantoufle depuis son salon et les heures de travail de son fils de 12 ans dans un supermarché après l’école… Tout cela complété par les dons de voisins.

    Très contesté, l’accord signé entre Bruxelles et Ankara en mars 2016 a conduit à un renforcement drastique des contrôles en Turquie et autorisé le renvoi de tout Syrien arrivant sur les côtes grecques. Mais en échange de chaque renvoi, l’UE s’est engagée à relocaliser un Syrien sur son territoire – un point qui a finalement été à peine appliqué faute de renvois effectifs – et a débloqué 3 milliards d’euros (dont 300 millions par la France) pour soutenir les réfugiés en Turquie. Un tiers de cette somme sert à financer le plus grand programme humanitaire de l’histoire de l’UE : la distribution massive d’argent à près de 1,2 million de réfugiés. Ce qui a changé la vie de Nahla.

    Depuis mars 2017, elle et ses enfants ont ainsi droit à 720 livres par mois. Auxquels s’ajoutent des versements chaque trimestre et des bonus si ses enfants vont bien à l’école. « Je n’ai plus à me préoccuper du loyer, se réjouit-elle. Je veux rentrer en Syrie dès que la situation sera plus sûre, Gaziantep est très proche de la frontière et ressemble en plus beaucoup à Alep. »

    Ouverture d’un centre de santé

    Avec 325 000 réfugiés pour une population de 1,6 million d’habitants, la ville est depuis le début de la guerre le principal refuge des Syriens en Turquie. S’ils y ont été globalement bien accueillis, ils ont souvent dû occuper des logements ou des commerces pour lesquels ils ont du mal à payer le loyer, ce qui a pu générer des tensions avec les Turcs.

    L’argent européen a grandement amélioré les choses. Début janvier, près de la moitié des Syriens de Gaziantep bénéficiaient d’aides versées chaque mois sur une carte bancaire gérée par le Croissant-Rouge turc et le Programme alimentaire mondial (PAM), un organisme de l’ONU qui a invité Le Monde et plusieurs autres journalistes européens pour ce reportage.

    « Contrairement au mythe qui voudrait que cet argent soit dépensé en cigarettes, il sert en priorité à payer les loyers, vante Jonathan Campbell, directeur adjoint du PAM en Turquie, en écartant les inquiétudes de détournement des fonds. Ainsi, 87,5 % de l’argent européen est allé directement aux réfugiés, un taux impossible à atteindre si on ne donnait que des denrées. »

    A Gaziantep, les fonds ont aussi permis d’ouvrir un centre de santé réservé aux réfugiés avec des médecins syriens ayant bénéficié d’un programme de validation des compétences par le ministère turc de la santé. « Ils peuvent enfin voir des docteurs qui parlent arabe », vante Hani Al-Ashawi, gynécologue qui a bénéficié de ce programme et a même pu obtenir la nationalité turque. En tout, les ministères turcs de l’éducation et de la santé ont bénéficié de 600 millions d’euros pour adapter les infrastructures à ce soudain afflux de population.

    Même les ONG syriennes le reconnaissent, l’accord « a rendu service aux réfugiés les plus pauvres », selon Assad Al-Achi, directeur de Baytna Syria, implantée à Gaziantep. Il regrette toutefois que cette aide se soit accompagnée d’un renforcement de contrôles turcs sur le travail des ONG syriennes. La maire de Gaziantep, Fatma Sahin, a aussi plaidé à Bruxelles pour que l’UE privilégie le financement de formations. Mais les autorités turques distribuent au compte-gouttes les permis de travail qui permettraient aux Syriens de vraiment s’intégrer.

    « Manne tombée du ciel »

    Depuis l’accord et surtout la tentative de coup d’Etat contre Recep Tayyip Erdogan en juillet 2016, Ankara a retiré les accréditations de nombreuses ONG occidentales, et les autorités européennes ont été incitées à faire passer leur argent par les organisations officielles. Ce sont ainsi les services sociaux nationaux qui coordonnent les inscriptions pour bénéficier des allocations.

    Pour toucher l’argent européen, les Syriens doivent en plus être déclarés au ministère de l’immigration et enregistrés à une adresse. Comme cette obligation s’est conjuguée au renforcement des contrôles prévus dans l’accord, les réfugiés ne peuvent presque plus se déplacer dans une autre région du pays sans autorisation. A commencer par celle d’Izmir, principale ville de transit pour les Syriens qui rêvent d’Europe. « Bien sûr qu’il y a plus de contrôle. On a coupé les flux pour l’UE, c’est bien pour ça qu’ils donnent de l’argent ! », lâche, comme une évidence, Levent Yuncu, le directeur des services sociaux de Gaziantep, quand on l’interroge sur le sujet. « Mais pour vous et pour nous, c’est un bon accord », assure-t-il.

    De ses bureaux d’Ankara, la cheffe du programme humanitaire de l’UE en Turquie, Jane Lewis, s’enorgueillit d’avoir décroché cette « manne tombée du ciel », et vante aussi un accord « gagnant-gagnant, pour la Turquie et pour l’UE ». Elle relativise les vives critiques que M. Erdogan a exprimées lors de sa visite à Paris, le 5 janvier. Le président turc avait dénoncé « les promesses non tenues de l’UE » en parlant de « seulement 900 millions d’euros reçus ». « Les chiffres changent très vite, 1,85 milliard a déjà été dépensé. Dans un contexte de rapports difficiles, nous avons réussi à construire des relations de confiance avec le gouvernement », promet-elle.

    S’il reste assez de fonds pour verser les allocations jusqu’en janvier 2019, la suite dépendra du déblocage d’un deuxième volet de 3 milliards prévu dans l’accord. Or les négociations entre Européens, qui doivent précéder celles avec les Turcs, n’ont pas encore commencé.


    http://lirelactu.fr/source/le-monde/49896ea6-143a-42d4-a858-228eb6c0435e
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    cc @i_s_

    Avec ce commentaire de Emmanuel Blanchard :

    Par un journaliste embedded par le PAM (programme alimentaire mondial de l’ONU) : il ne faut donc pas attendre un point de vue très critique sur l’arrangement UE-Turquie ou l’externalisation du contrôle des frontières. Des informations intéressantes cependant sur les circuits de « l’aide européenne » et sur les conditions de vie des exilés syriens à Gaziantep.