#Jean_Ehrard, Lumières et esclavage. L’esclavage et l’opinion publique en France au XVIIIe siècle compte-rendu de Alessandro Tuccillo dans Lectures critiques 2010 - printemps 2012
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Dans le premier chapitre (« Les #Lumières en procès »), J. Ehrard entame son discours en prenant position sur le « procès aux Lumières », c’est-à-dire sur les attaques que les philosophes du XVIIIe siècle ont subies tantôt de la part du monde catholique, tantôt de la part des milieux anticolonialistes. D’ailleurs, dès son introduction, J. Ehrard déclare vouloir écrire « un plaidoyer en défense, un essai de réponse au réquisitoire anti-Lumières » (p. 17). Cette défense du patrimoine des idées des Lumières, à raison, ne se confronte pas avec les critiques réactionnaires qui voudraient revitaliser les positions antirévolutionnaires du XIXe siècle. Le dialogue serait impossible. Elle s’adresse plutôt aux critiques d’origine marxiste ou sensibles aux discours des écoles de Francfort et de Foucault qui voient dans l’#universalisme des Lumières la racine culturelle de l’#impérialisme et de sa rhétorique de la civilisation. Cette accusation était déjà présente dans les études fondamentales de #Michèle_Duchet (Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, 1971 ; rééd. Albin Michel, 1995) et de #Carminella_Biondi (Ces esclaves sont des hommes. Lotta abolizionista e letteratura negrofila nella Francia del Settecento, 1979). Dans les livres de #Pierre_Pluchon (Nègres et juifs au XVIIIe siècle. Le racisme au siècle des Lumières, 1984) et de #Louis_Sala-Molins (Le Code noir ou le calvaire de Canaan, 1987 et Les Misères des Lumières. Sous la raison, l’outrage, 1992), cette accusation se transforme, d’après J. Ehrard, en simple dénigrement tendancieux. C’est donc « à contre-courant d’une mode récente de dénigrement du siècle de Voltaire » (p. 17), qui nie tout lien entre la pensée #antiesclavagiste des Lumières et l’#abolition de l’esclavage de 1794, que Jean Ehrard réaffirme l’importance de l’« héritage des Lumières » : bien que la conjoncture révolutionnaire ait été essentielle pour le décret de pluviôse, la « conviction idéologique » des députés de la Convention nationale « n’a pu tomber du ciel, sinon du ciel de la raison des Lumières » (p. 15). L’élaboration de la culture critique antiesclavagiste au XVIIIe siècle ne pouvait être sans hésitations puisque cette critique devait briser une longue tradition de légitimation théorique de l’esclavage qui, auparavant, n’avait jamais été mise en question en ces termes. Selon J. Ehrard, ceux qui soulignent avec stupéfaction les ambiguïtés des philosophes face à l’esclavage raisonnent « comme si les Lumières étaient un état, non un mouvement ; comme si leurs promoteurs n’avaient pas eu à soulever et réinventer le monde pour inventer les droits de l’homme » (p. 16). Un contexte hostile explique aussi les propositions gradualistes des abolitionnistes qui ne peuvent être interprétées comme des tentatives de reforme de l’institution vouées, de fait, à la consolidation de l’ordre esclavagiste (c’était la thèse, entre autres, de M. Duchet). Ce gradualisme participe du discours civilisateur, universaliste et cosmopolite du XVIIIe siècle auquel Ehrard ne fait pas mystère de vouloir reconnaitre sa « noblesse » (p. 16). La nier signifierait déformer l’analyse sur la base des crimes de la colonisation du XIXe siècle.