Monolecte đŸ˜·đŸ€Ź

Fauteuse de merde 🐘 @Monolecte@framapiaf.org

  • Civilisation de la #poubelle
    ▻https://blog.monolecte.fr/2018/02/26/civilisation-de-poubelle

    Des bibliothĂ©caires connectĂ©s m’ont appris Ă  la suite de ce message qu’il s’agit lĂ  d’une opĂ©ration de #dĂ©sherbage tout Ă  fait normale et banale dans les centres de prĂȘts : ils vident les rayons des #livres qui sont abimĂ©s ou plus du tout empruntĂ©s.

    Voir aussi la premiĂšre discussion avant l’écriture du billet : ▻https://seenthis.net/messages/672048

    • En passant, j’ajoute ce tĂ©moignage — dĂ©posĂ© Ă  la suite de ce papier sur Agoravox — qui apporte sa pierre Ă  l’édifice de la rĂ©flexion sur le livre et la mĂ©moire. Parce que finalement, c’est quelque chose dont je parle souvent, la mĂ©moire :

      Il y a une bibliothĂšque municipale oĂč j’allais quand j’étais collĂ©gien, elle accumulait des livres depuis le XVIIe siĂšcle, elle achetait trĂšs peu de livres neufs qu’elle choisissait aprĂšs de longues discussions, et qu’elle faisait relier tous les livres en cuir ou en toile pour pouvoir les conserver le plus longtemps possible (la reliure multiplie par 3 ou 4 le cout de revient du livre). Il y avait une salle de romans qui Ă©taient tous reliĂ©s en cuir rouge, avec tous les classiques et un tas d’auteurs complĂštement inconnus ou oubliĂ©s qu’il Ă©tait impossible de trouver dans une librairie de livres neufs. On y trouvait absolument tout sur tous les sujets encyclopĂ©diques depuis un traitĂ© de composition d’une symphonie, jusqu’à de vieux atlas, en passant par des recueils des coutumes de Normandie ou de Paris, des tas de livres et d’encyclopĂ©dies qu’on ne pouvait trouver nulle part, tout ce qui avait Ă©tĂ© estimĂ© comme Ă©tant un ouvrage classique mĂ©ritant d’ĂȘtre achetĂ©, reliĂ© et conservĂ© pour l’éternitĂ©. Il y avait des collections complĂštes de revues anciennes comme le Magasin pittoresque ou la Revue des voyages (1881-1940), le Journal des voyages, etc. oĂč on trouvait des milliers de rĂ©cits avec des gravures incroyables montrant des tempĂȘtes, des naufrages, des cannibales posant autour de la marmite. Cette bibliothĂšque Ă©tait toujours pleine de gens qui venaient lire sur place des usuels, des collĂ©giens comme moi et des espĂšces de savants Ă  barbe blanche comme dans Tintin. C’était vraiment un monde enchantĂ©.

      Un jour la vieille bibliothĂ©caire est partie en retraite, une jeune pĂ©tasse avec un diplĂŽme de bibliothĂ©conomie est arrivĂ©e, elle a parlĂ© de faire vivre et de dynamiser le fonds, elle obtenu de remplacer tous les rayonnages et les vitrines en bois sculptĂ© par des meubles plus pratiques pour faire un classement intelligent selon les normes internationales, la bibliothĂšque a fermĂ© un an. À l’ouverture, tous les rayonnages Ă©taient en tĂŽle comme dans les bibliothĂšques universitaires, tous les livres Ă©taient neufs, sauf dans une piĂšce oĂč avaient Ă©tĂ© conservĂ©s sous clĂ©s quelques milliers de livres allant du XVIe Ă  la fin du XVIIIe siĂšcle qu’un adjoint Ă©tait parvenu Ă  faire conserver. C’est quelqu’un qui ne lit pas et qui est persuadĂ© que le livre le plus rĂ©cent est toujours meilleur que le prĂ©cĂ©dent. Le dernier essai de Bernard-Henri LĂ©vy dĂ©passe Condition de l’homme moderne d’Hannah Arendt.

      Les nouveaux livres, c’était qu’on trouvait dans toutes les librairies du moment, classĂ©s comme Ă  la FNAC, des livres que n’importe qui pouvait acheter, sur les rĂ©gimes, sur la psychanalyse, les derniers essais des hommes politiques et des journalistes, des Ɠuvres complĂštement Ă©phĂ©mĂšres qui ne se vendent que sous le feu de la promotion. Il y avait un demi-Ă©tage sur la Shoah, le procĂšs de Nuremberg, l’antisĂ©mitisme, le racisme, le fascisme, plein d’essais sur les sujets de sociĂ©tĂ© : le fĂ©minisme, l’écologie, le dĂ©veloppement durable, la dĂ©mocratie.

      La frĂ©quentation de la bibliothĂšque est tombĂ©e Ă  presque rien pendant les annĂ©es qui ont suivi, la mairie a fait de la publicitĂ© en appelant les habitants Ă  visiter la nouvelle bibliothĂšque, rien n’y a fait.

      La bibliothĂ©caire qui avait dĂ©pensĂ© plus d’argent en deux ans autant que ses prĂ©dĂ©cesseurs en deux siĂšcles, pense que c’est prie que son fonds n’est pas assez actuel, pas assez innovant, elle Ă©pure son fonds de 10 % tous les ans pour faire la place des nouvelles parutions qui sont de plus en plus nombreuses. Les maisons d’édition ont Ă©tĂ© rachetĂ©es par des groupes politico-financiers qui ont mis Ă  leur tĂȘte des diplĂŽmĂ©s d’écoles de commerce. Il faut faire de la nouveautĂ©, comme les laboratoires pharmaceutiques : lancer les plus de nouveaux livres possibles dans l’espoir de trouver le blockbuster. Chaque nouveau livre a sa campagne de promotion, si au bout de 3 mois il ne s’en est pas vendu assez, il part au pilon, pour en lancer un autre. Il n’y a plus de collections avec des Ɠuvres qui se rĂ©Ă©ditent pendant des annĂ©es, des dizaines d’annĂ©es, et qui aspirent au classicisme.

      En France on a la chance d’avoir un fonds d’ouvrages imprimĂ©s qui est plusieurs milliers de fois plus important que ce qui est en vente Ă  un moment donnĂ©. C’était par les bibliothĂšques publiques qu’on pouvait accĂ©der une partie de tous ces livres qui n’étaient plus Ă©ditĂ©s comme le grand Dictionnaire d’agriculture en 2 volumes de RenĂ© Dumont, datant de l’époque oĂč il Ă©tait professeur Ă  l’Agro, les romans de Marcelle Tinayre, des collections d’ouvrages d’érudition trĂšs curieux lĂ©guĂ©s Ă  la ville par un bienfaiteur, etc.

      Ces bibliothĂšques municipales ne servent plus Ă  rien, elles concurrencent les librairies, il faut toutes les fermer.