O. Besancenot Ă propos de lâattaque contre la SNCF
LâidĂ©e de cĂ©lĂ©brer le cinquantiĂšme anniversaire de Mai-68 avait, paraĂźt-il, traversĂ© lâesprit imaginatif dâEmmanuel Macron. On sait que son proche entourage lâen a finalement dissuadĂ©. La rĂ©cupĂ©ration Ă©tait un peu trop grossiĂšre pour abuser les plus candides de nos concitoyens. Mais voilĂ que lâhypothĂšse dâune « cĂ©lĂ©bration » ressurgit. Pas exactement telle que la rĂȘvait le prĂ©sident de la RĂ©publique, mais cette fois Ă son corps dĂ©fendant. Car, si lâhypothĂšse dâune grĂšve gĂ©nĂ©rale du cĂŽtĂ© du mois de mai 2018 est loin dâĂȘtre la plus probable, celle dâun conflit dâampleur nâest plus Ă Ă©carter. Le PrĂ©sident, en tout cas, en prend le risque. En ajoutant le trĂšs impopulaire recours aux ordonnances Ă une dĂ©jĂ dĂ©licate rĂ©forme de la SNCF, il met les syndicats au pied du mur. La CGT, en particulier, va jouer sa peau dans un affrontement Ă peu prĂšs inĂ©vitable, quelle quâen soit la forme. Mais, plus incomprĂ©hensible encore, il renvoie la CFDT, dâordinaire si facile Ă circonvenir, dans le camp dâen face. Lâannonce par le Premier ministre du recours aux ordonnances a Ă©tĂ© reçue comme une vĂ©ritable « humiliation » â câest le mot dâun de ses porte-parole â par la confĂ©dĂ©ration de Laurent Berger.
IncomprĂ©hensible, disais-je, pas tout Ă fait. On a lâimpression quâEmmanuel Macron joue beaucoup plus dans cette affaire que le sort de la seule SNCF. Il vise lâaffaiblissement durable du mouvement syndical. Il y a du « thatchĂ©risme » dans son attitude. Reste Ă savoir si lâobjectif politique du prĂ©sident de la RĂ©publique nâest pas au-dessus de ses moyens. Entendons-nous bien, je ne suis pas un fĂ©tichiste de Mai-68 et je ne crois pas que lâhistoire se rĂ©pĂšte. Pour reprendre lâexpression du sociologue Geoffroy de Lagasnerie, il faut cesser de guetter le « moment total », celui de la convergence des luttes.
Lâimplosion des grandes concentrations ouvriĂšres rend dĂ©sormais improbables de vastes mobilisations qui rĂ©pondent Ă une unitĂ© de temps et de lieu. Mais sâil existe encore une catĂ©gorie professionnelle qui a cette capacitĂ© de rĂ©sistance, et cette force dâentraĂźnement, câest bien les cheminots. Lâenjeu du bras de fer qui se prĂ©pare est donc double. Il en va Ă la fois bien sĂ»r du sort de la SNCF et de tout ce quâelle symbolise de service public, et de la redĂ©finition du rapport de force social pour de longues annĂ©es.
Emmanuel Macron spĂ©cule sur une opinion publique lasse des conservatismes et de lâimmobilisme. Depuis huit mois, il parvient avec un certain bonheur Ă incarner le « mouvement ». Sa chance est de venir aprĂšs une drĂŽle de dynastie : un « roi fainĂ©ant », un matamore et un tartuffe se sont succĂ©dĂ© Ă lâĂlysĂ©e⊠La question est de savoir si la sociĂ©tĂ© est Ă ce point avide de changement quâelle est prĂȘte Ă tout accepter. Câest le grand dĂ©fi des syndicats que de montrer dans quelle sorte de changement veut nous entraĂźner Emmanuel Macron. Lâenjeu, on lâa dit, câest lâaffaiblissement des corps intermĂ©diaires, et la relĂ©gation de la reprĂ©sentation parlementaire, court-circuitĂ©e par les ordonnances. Et câest la liquidation de lâidĂ©e mĂȘme de service public. La rĂ©forme proposĂ©e par Jean-Cyril Spinetta est vertĂ©brĂ©e par deux principes exclusifs : la rentabilitĂ© et la concurrence. DâoĂč une privatisation rampante dans un secteur dâactivitĂ© qui sâapparente Ă ce quâon appelle un monopole naturel. Autrement dit, qui ne peut sâaccommoder ni de la concurrence ni de la recherche de profits.
Tout opĂ©rateur privĂ© arrivant sur ce marchĂ© aura en effet tendance Ă sâemparer des segments les plus rentables en dĂ©laissant les autres (lâentretien du rĂ©seau par exemple), et Ă se payer sur la bĂȘte, en lâoccurrence lâusager, pour rĂ©aliser ses profits. Au cĆur du conflit qui se profile, il y a Ă©videmment le statut des cheminots, qui correspond exactement Ă ces notions de monopole naturel et de service public. Lâoffensive gouvernementale est malsaine en ce quâelle cherche Ă diviser nos concitoyens. On lâa bien vu lorsquâau Salon de lâagriculture Emmanuel Macron a opposĂ© la situation des cheminots au sort des agriculteurs privĂ©s de retraites.
Aujourdâhui, apparemment, ce discours dĂ©magogique fonctionne : 69 % des Français seraient favorables Ă la suppression du statut [2]. A-t-on conscience que des opĂ©rateurs privĂ©s se comporteront ici comme ailleurs, en pratiquant la mise en concurrence salariale, la prĂ©carisation, et feront de la condition des futurs cheminots une variable dâajustement budgĂ©taire ? Ce qui nâest rassurant pour personne. En attendant, beaucoup de commentateurs tombent en pĂąmoison devant le sens tactique de Macron. La Blitz Krieg engagĂ©e par lâexĂ©cutif force leur admiration. Mais les enjeux ont une tout autre dimension. Aux syndicats et Ă la gauche politique dâen convaincre une opinion gavĂ©e de discours gestionnaires.
Denis Sieffert - Politis
Autre Ă©mission avec #Olivier_Besancenot dans « On nâest pas couchĂ© », et vu les Ă©chos sur les rĂ©seaux sociaux, câest impressionnant toutes les personnes qui encensent sa luciditĂ© (ou Ă dâautres moments celle de #Philippe_Poutou, et autres) ... Tâimagines, si yâavait autant de monde dans la rue quâĂ dire quâils ont raison, ce serait dĂ©jĂ un bon dĂ©but !
â»https://youtu.be/hKhfRIHhL7I