• Fatima, disponible jusqu’au 07/03/2018 sur ARTE, viens-je de voir.
    https://www.arte.tv/fr/videos/069790-000-A/fatima
    Me souviens en avoir entendu et lu du bien et trouve ça : « Fatima » : la beauté d’une héroïne invisible, Thomas Sotinel

    Ce portrait de femme par Philippe Faucon suscite émotions et réflexions à force de simplicité et de rigueur.
    Fatima est un film si délicat qu’il est difficile d’en parler sans l’abîmer. Ce n’est pas tout à fait une histoire, on pourrait dire « une tranche de vie », si la vie était de la viande. La vie n’est pas faite que de chair, c’est aussi du temps, de l’espace, des souvenirs qui reviennent, des espoirs, des regrets…
    Tout ça, Philippe Faucon le fait tenir dans les 80 minutes de Fatima. Le centre de gravité, ce qui ordonne ce chaos vital porte le prénom de la fille du Prophète. C’est une femme d’entre 40 et 50 ans qui vit et travaille dans l’agglomération lyonnaise, seule avec ses deux filles depuis que son mari l’a quittée pour une autre.

    « Un torchon »
    Fatima (Soria Zeroual) ne parle pas bien le français, elle fait des ménages, pour des particuliers puis pour une société de nettoyage. Ce travail supplémentaire, elle l’a entrepris pour aider son aînée Nesrine (Zita Hanrot) qui commence sa première année de médecine. En plus de son salaire, cet emploi lui vaut le mépris de Souad, sa fille cadette, collégienne de 15 ans (Kenza Noah Aïche) qui trouve que sa mère est « un torchon ».
    Si Fatima, par sa présence paisible, la profondeur de son regard et la patience de son écoute, reste le corps autour duquel gravitent tous les éléments du film de Philippe Faucon, le réalisateur s’autorise à la quitter du regard pour suivre Nesrine et Souad sur leurs chemins qui s’écartent, celui de l’aînée vertueuse, celui de la fille prodigue.
    Dans un amphithéâtre bondé, la première prend ses premiers cours d’embryologie. Faucon porte son attention sur la complexité de terminologie (comme sa mère qui peine à comprendre le français, Nesrine doit, pour avancer encore plus loin, apprendre un autre langage), sur la diversité des visages et des attitudes des étudiants. Cette inscription dans une réalité familière est si puissante, si assurée qu’on pourrait ignorer la portée poétique de cette séquence, le lien que le cinéaste tisse entre cet enseignement scientifique de la genèse d’un être humain et la gestation d’une société nouvelle qui fera une place, volens nolens, aux derniers venus.
    Emotions justes
    Sur le même registre, dans la voiture qui traverse la ville, le père de Souad explique à celle-ci qu’il a trimé des mois, à des dizaines de mètres du sol, pour élever une tour. Il n’en faut pas plus pour qu’on voie le paysage urbain autrement, comme une œuvre collective, un ici auquel ceux qui ne sont pas d’ici ont puissamment contribué. Enoncer ces réflexions qui effleurent l’esprit à la vision de Fatima, c’est leur donner une place qui n’est pas tout à fait la leur dans ce film qui se refuse à tout didactisme. Ces pensées procèdent d’émotions et de sensations parfaitement justes et ce sont elles qui font la texture et la beauté de Fatima, bien plus que les idées.
    Cela tient à la simplicité et à la rigueur de Philippe Faucon, à son talent pour composer un plan, pour lui donner sa durée idéale : dans le bureau d’une conseillère d’éducation ou d’un principal, à quelques dizaines de centimètres de Fatima, deux parents d’élèves s’inquiètent de l’avenir de leur brillante élève de fille, leurs visages sont flous, leur voix est nette ; la physionomie de Fatima, nettement éclairée et photographiée, est inquiète, elle est venue pour Souad, en perdition dans le système scolaire, mais les mots lui manquent ; l’inégalité, la frustration, l’amour maternel, tout est là.
    Un film sans méchants
    Cette simplicité de la mise en scène autorise aussi la complexité des personnages et des situations, aussi ordinaires que soient leurs vies, banales les situations de leur quotidien. D’autant que Fatima est un film sans méchants, ou presque. La responsable de l’entreprise de nettoyage qui utilise la délation comme outil de gestion des ressources humaines, les voisines venues du bled jalouses de l’entrée de Nesrine à l’université ne sont que des silhouettes, qui disent le poids du monde et de son organisation. Dès qu’un personnage passe un peu de temps à l’écran, il devient un être humain pétri de contradictions : la maîtresse de maison qu’incarne Isabelle Candelier, jalouse et admirative de la réussite de la fille de Fatima, alors que son fils à elle piétine dans ses études, les amis de Souad qui la confortent dans sa révolte, mais se tiennent toujours à ses côtés…
    Si bien que lorsque Fatima sort de sa condition, ce n’est pas un événement exorbitant du quotidien – romanesque. Si Fatima se met à écrire, comme l’a fait Fatima Elayoubi, l’auteure des textes dont s’est inspiré Philippe Faucon pour écrire son scénario, c’est qu’elle ne peut faire autrement, que la vie l’a menée au point où elle ne peut faire autrement, où sa frustration à ne pouvoir communiquer pleinement faute de maîtriser la langue du pays où elle vit la force à confier ses pensées, ses sentiments à un cahier, en arabe.
    Ce geste d’abord secret a trouvé sa traduction en images, en sons, en temps qui passe doucement mais trop vite – en cinéma : Fatima existe aux yeux de tous ceux de toutes celles qui voudront la voir. Ceux qui préféreront détourner le regard auront tort.

    #invisibles #film (ici sans écran de ciné)