• #Facebook et la recherche : le « quasi État »
    http://www.internetactu.net/2018/03/07/facebook-et-la-recherche-le-quasi-etat

    Voilà longtemps que les données de Facebook sont un inestimable matériau de recherche. Mais la politique de l’entreprise de Mark Zuckerberg en la matière est digne de celle d’un État. En proposant un état civil de substitution, en organisant le recensement quasi exhaustif de la population américaine (et du monde, (...)

    #Recherches #Tribune #science

    • Cette fois-ci, avec les données de Facebook, l’opération change de nature et constitue un saut que j’avais annoncé avec d’autres, mais dont on doit mesurer l’importance. Facebook (et plus précisément Mark Zuckerberg) décide de s’attaquer aux inégalités et se donne donc un agenda politique, ce qui est plutôt intéressant alors que toutes les firmes ont de fait un agenda politique qui n’est jamais explicité, mais mis en acte et souvent révélé après coup (du fait de leurs conséquences en matière de discriminations, d’environnement, etc.). Mais Facebook ne se réduit pas cependant à Mark Zuckerberg, c’est l’une des plus grosses capitalisations boursières désormais (528 milliards de dollars en 2017) et l’une des plates-formes devenues monopoles dans leur domaine. Si Facebook choisit d’investir dans une telle politique, ce choix a plus de poids que celui de bon nombre d’États, mais il a « l’avantage » d’être soustrait à toute décision politique publique. Facebook se dote donc comme n’importe quel état d’une politique sociale pourrait-on dire, sans pour autant avoir de compte à rendre comme n’importe quel gouvernement : la politique sans les inconvénients de la politique en quelque sorte.

      Pour gouverner dans ce sens, Facebook doit aussi prouver, comme tous les autres gouvernements, et commande donc des études. Parfait, quoi de plus noble que ce soutien à la recherche ! Mais il décide de choisir les chercheurs qu’il soutient, qui sont peu nombreux, et après les retours négatifs sur son étude de manipulation des émotions avec des chercheurs de Stanford en 2014, Facebook s’est doté de procédures pour valider ces projets de recherche. De là à dire qu’il s’agit d’un concours comme pour une agence publique de recherche, il ne faut pas exagérer, tout cela reste secret comme le protocole exact de la recherche conduite par Chetty. Pour résumer, Facebook s’arroge les avantages de la science sans les inconvénients de la science (à savoir le débat académique transparent et la validation par les pairs).

      Enfin troisième étage de la fusée, les données sont fournies par Facebook et sont d’une ampleur jamais égalée, car Chetty pourra traiter les 230 millions de comptes ouverts aux États-Unis en janvier 2018 sur un total de 326 millions d’habitants dont 18 % de moins de 14 ans (soit 58 millions), ce qui fait une couverture de près de 80 % de la population de plus de 14 ans. On peut difficilement rêver mieux comme échantillon : on est en fait plus près de l’exhaustivité, ce critère de validation des données de population qui était quasiment réservée aux instituts statistiques nationaux et qui a permis de fonder ce que j’appelle les sciences sociales de première génération, celles qui mettent en avant le pouvoir d’agir de « la société » comme « tout », comme structure, en prouvant ses effets par les grands nombres collectés par les recensements. Voilà donc Facebook en position de faire le recensement de la population américaine comme l’État, voire même mieux que l’État puisqu’il peut le faire toutes les minutes s’il le souhaite et surtout parce qu’il collecte une quantité de traces d’activité sans commune mesure avec n’importe quel recensement, même lorsqu’on additionne les variables traitées dans les quatre univers classiques : personnes, familles, ménages, logements.