Philippe De Jonckheere

(1964 - 2064)

  • (Exemple de ce qu’il advient, de temps en temps, sur seenthis. En réponse à un de mes billets #de_la_dyslexie_créative - Trump cherche à empêcher la compagne de l’auteur de l’attentat de Trèbes de témoigner contre lui. L’actrice porno Stormy Daniels était fichée S et suivie pour radicalisation - @bce_106_6, puisqu’il est question de Stormy Daniels, donne le lien d’une vidéo de Paul Jorion sur ce sujet. C’est le point de départ pour moi d’une remarque à propos des personnes qui se filment face caméra dans leur salon, ou dans leur garage, et s’adressant à la Terre entière - ce qu’ils et elles aimeraient croire sans doute en parlant à leur écran de contrôle. La discussion est lancée dans laquelle @arno évoque aussi les contours mortifères de ces vidéos.)

    Je crois que je n’arriverais jamais à comprendre l’intérêt de ces vidéos de personnes, pourtant pas toutes idiotes - pas toutes en tout cas -, qui nous parlent depuis leur salon - ou depuis leur garage, j’ai plus de sympathie a priori pour celles et ceux qui parlent depuis leur garage, plutôt que depuis leur salon à la décoration bourgeoise très discutable - à propos d’un événement qu’elles ont relevé dans l’actualité, un livre qu’elles ont lu, d’un film qu’elles ont vu, que sais-je encore - et, donc, face caméra : bien au-delà de ce qu’elles disent, qui pourrait le plus souvent tenir en deux minutes et qui s’étend invariablement sur une bonne demi-heure, et qui serait assez sot, ou absent à soi-même, pour écouter de tels flux jusqu’à leur conclusion sans cesse retardée et généralement minuscule, en dépit de force annonces au début de telles vidéos - on y lit tellement le fantasme et l’envie d’être vu, écouté par des millions, des multitudes, et ce qu’ils ou elles disent, en étant nullement contredit ou renchéri, n’a, en fait, aucune portée, beaucoup moins que s’ils ou elles étaient filmées dans leur salon avec des connaissances avec lesquelles ils et elles échangeraient.

    Paul Jorion peut dire, et même écrire, de temps en temps, des choses assez remar-quables, ce n’est pas @laurent2 qui me contredirait pour en avoir repris de larges extraits dans son excellent Journal de la crise, en revanche dans cette vidéo - et dans les quelques autres que je suis allé piocher et regarder rapidement -, quel néant ! et c’est impressionnant à quel point il s’écoute pisser sur les feuilles ! - faisant mine, par endroits, de ne pas connaître tel ou tel équivalent français à telle locution anglaise (non-disclosure agreement, en bon français, doit pouvoir se traduire par accord de non divulgation, quant à one night stand, passade ou coucherie d’un soir conviendra très bien, merci).

    Et j’ai naturellement l’esprit très mal tourné - c’est de notoriété publique -, parce que chaque fois que je tombe sur de tels extraits vidéographiques, je ne peux m’empêcher de penser que les membres de leur famille doivent les entendre depuis la pièce d’à côté et se dire : « tiens, le vieux il est encore en train de radoter à sa webcam » avec une comparable suspicion que si le vieux était justement en train de se masturber devant tel ou tel film pornographique en diffusion continue. Et je n’ai aucune difficulté à me faire l’application d’un tel raisonnement, pas tant sur la masturbation vidéographique - pitié ! -, mais il doit bien arriver des moments pendant lesquels le cliquetis incessant de mes doigts sur le clavier de mon ordinateur doit porter sur les nerfs de mes enfants et il et elles doivent se demander ce que je branle. C’est peut-être vain et fat de ma part, mais je m’accroche à la croyance qu’écrire ce n’est quand même pas la même farine, la même limonade, le même branlage de dindon - j’imite très bien le cri du dindon, cela amusait beaucoup mes enfants quand ils étaient petits.

    Bien que je ne me sois jamais servi d’une webcam et que je ne peux pas dire que je ne me sois vraiment filmé en train de dire quoi que ce soit, plutôt en train de me taire - voire de mourir -, je n’ignore pas que, quel que soit le dispositif pour se filmer, il y a un écran de contrôle et, que peut-il se passer, vraiment, dans la tête d’une personne qui se parle à elle-même, via un écran de contrôle, dont elle espère que ce petit miroir s’inverse pour atteindre des dizaines, des centaines, des milliers, non, des millions de personnes. Utile rappel, sauf cas inquiétants - mais justement je suis inquiet - : on est tout seul dans sa tête.

    Si j’avais un peu de talent pour le montage vidéographique, et du temps pour cela, je crois que je téléchargerais tant et tant de ces extraits vidéo masturbatoires - je ne peux vraiment pas voir et appeler les choses autrement - et que je les monterais entre eux pour recréer, très artificiellement, les conditions du dialogue, de la conversation, de la convivialité. Et le désir que je pourrais avoir d’un tel projet, ce serait presque, en rétablissant les conditions d’une conversation, de ramener toutes ces personnes dans le giron de l’humanité qu’elles semblent avoir quittée, happées qu’elles sont désormais par leur interlocutrice fictive - parce que je me suis vraiment creusé les méninges pour tenter de répondre à cette question pourtant tout simple, de savoir à qui ces personnes étaient en train de parler, et après une journée, presque, de cette réflexion, et après être retombé sur cette citation de Susan Sontag (la pornographie a moins à voir avec le sexe qu’avec la mort - citation traduite de tête par mes soins inexperts), il m’est donc apparu que cette interlocutrice fictive ne pouvait être autre que la mort.

    Et si peu de ces vidéos qui ne se terminent pas par une supplication de soutien, d’étoile, de pouce levé ou encore d’abonnement gratuit - dans tous les sens du terme -, ou même un simple à demain, pas moins suppliant finalement, ce que je ne peux m’empêcher d’entendre comme une prière et d’être désormais persuadé que c’est bien à la mort que ces personnes parlent.

    Et cette dernière ne les écoute même pas.

    #pendant_qu’il_est_trop_tard