Philippe De Jonckheere

(1964 - 2064)

  • Je tombe, par le hasard de la sérendipité, sur une chronique, une tribune, un article -, comment appeler une chose pareille ? -, de l’inénarrable Bernard-Henri Lévy, en tout cas un exercice hebdomadaire dont le lectorat du Point est gâté, toutes les semaines donc, depuis sans doute Mathusalem et peut-être même avant - lectrices et lecteurs du Point ne connaissent pas leur chance. Laquelle tribune commence par « Mes lecteurs » - Je ne pense pas que je serais jamais capable d’écrire un jour sérieusement mes lecteurs, d’autant que j’aurais tendance à préférer, lectorat ou lectrices et lecteurs, mais qui suis-je (un petit auteur Inculte de rien du tout), pour juger des manières d’un des grands du monde ? Bon autant vous le dire, la chronique en question est assez divertissante puisqu’elle oscille entre deux pôles improbables, le premier, rappeler sans cesse à ses lecteurs, que Bernard-Henri Lévy est toujours au centre de la marche du monde, que c’est un métier assez prenant, qu’il est ami avec tout ce que le monde moderne compte à la fois de progressiste et de résistant, et le deuxième pôle pas moins fantasque, Nicolas Sarkozy qu’il a longuement conseillé sur la Lybie - je vous ai dit que sans Bernard-Henri Lévy, rien ne se fait dans ce pays ? sommes-nous chanceux en France, nous avons un Ministère des Affaires étrangères dans lequel travaille un petit peuple laborieux et un autre ministère, celui des raccourcis sans doute, tenu par un seul homme, et quel ! c’est vous dire si nous sommes bien lotis en France ! -, Nicolas Sarkozy donc, est innocent de toutes les charges qui pèsent sur lui, lui, Bernard-Henri Lévy le sait de façon irréfragable, et lui, Bernard-Henri Lévy, peut savoir ces choses-là, parce que - rappelez-vous -, il est au centre de tout, et tout passe par lui, et donc, nécessairement il est dans le secret des dieux modernes, à vrai dire, il EST le secret des dieux - en fait Bernard-Henri Lévy murmure à l’oreille des dieux. A vrai dire, sans perversité excessive de ma part, la lecture d’un tel article est assez divertissante, comment ce type semble capable de se convaincre de ses propres mensonges est une source intarissable d’étonnement clinique pour moi.

    Et je me dis que ce serait dommage que les personnes qui me suivent sur seenthis, passent à côté d’un tel divertissement, ne boudons pas trop vite les occasions de rire un peu avec la marche du monde, qui #pendant_qu’il_est_trop_tard, ne recèle pas à ce point d’occasions de se réjouir, c’est plutôt le contraire. Cherchant une autre image que celle de l’article original - au Point ils ont tous misé sur la qualité de l’éditorialiste, pour l’iconographe, ils se sont contentés d’un talent moindre -, j’en trouve une bien meilleure sur le site de la Règle du Jeu - à la source en somme -, qui est, de la même manière pas entièrement exempte de perversité décrite plus haut, un filon sûr de bonne rigolade - imaginez un site internet hagiographique de Bernard-Henri Lévy -, qui représente Bernard-Henri Lévy entouré de jeunes soldats, résistants libyens, crois-je, habillé d’un magnifique costume dont on peut imaginer qu’il faudrait la solde annuelle des six soldats autour de lui pour en payer un tel, Bernard-Henri Lévy, le regard lointain, forcément lointain, bionique sans doute, est entouré de ses six soldats - le pronom possessif est ici à sa place - en armes, à la vue d’une telle photographie qui pourrait encore douter que sans Bernard-Henri Lévy, la Lybie serait encore sous le joug sanguinaire de Kadhafi, oui, qui ? La scène est tout en mouvement, c’est une scène d’action, cadrée avec juste le zest de maladresse feinte qui atteste que le danger ne devait pas être bien loin, ce qui justifie sans doute que le stratège Bernard-Henri Lévy soit entouré de pas moins que six soldats en armes, par ailleurs bouchonnées, ce qui signifie sans doute qu’elles ne sont pas chargées et le seraient-elles, elles ne pourraient faire feu, on n’est jamais prudent imaginez un peu le désordre : Bernard-Henri Lévy, ce génie militaire qu’on nous envie, blessé, tué lors d’un exercice, plus exac-tement lors d’une mise en scène.

    Je ne devais pas avoir autre chose à faire hier en fin d’après-midi, un vendredi, fin de semaine, veille d’une week-end de trois jours, on relâche la pression, des fois je me comporte vraiment comme un employé d’open space, je me suis offert un peu de récréation et j’ai par-couru quelques pages html du site internet de La Règle du jeu, et je suis tombé sur quelques images fort drôles dont j’ai émaillé les commentaires de mon propre signalement sur seenthis, il y avait notamment celle que je trouvais la plus admirable et la plus significative de cette œuvre gigantesque d’imposture - à la fois l’œuvre et les moyens dévolus à cette imposture - c’était une photographie de Bernard-Henri Lévy faisant semblant d’écrire. Et une autre encore plus désopilante - si une telle chose est possible - dans laquelle il était représenté travaillant à l’accrochage d’une exposition d’art contemporain de son cru - une exposition inconnue de moi, qui pourtant me tiens plus ou moins au courant de ce qu’il se passe en matière d’art contemporain - et dans laquelle figuraient deux œuvres de - vous êtes bien assis - - Guy Debord - le retournement du sens et des valeurs est un domaine qui ne semble pas avoir de bords visibles.

    Je remarquais que toutes ces images dont très peu avaient été dûment créditées devaient pourtant toutes avoir le ou la même photographe, pour être à ce point comparables en autant de points, l’éclairage, l’exposition et un cadrage d’une remarquable constance, usant et abusant du truc, très connu des photographes en 35mm, qui consiste à diviser verticalement un cadre horizontal en trois parties égales et de placer ce qui est important au tiers ou au deux tiers du cadre - works everytime -, j’en déduis, sans doute trop hâtivement, mais je pense la chose tellement plausible, que Bernard-Henri Lévy peut compter sur le ou la même photographe employés à ce grand œuvre hagiographique.

    Bon s’acharner, fut-ce avec ironie, sur un aussi médiocre sujet, il n’y avait pas de quoi être fier en somme. À vaincre sans péril on triomphe sans gloire. Ce que @reka n’a pas manqué de faire remarquer, mais pas en alexandrins. Pour @reka la cause de la ridicule imposture est entendue, c’est perte de temps et d’énergie d’y revenir, je dois convenir que l’argument n’est pas sans force.

    Oui, mais.

    Que l’imposture de Bernard-Henri Lévy soit aussi immanquable désormais qu’un élé-phant dans un couloir j’en conviens aisément. En revanche tout à la lecture de sa tribune hebdomadaire, qui me faisait tellement rire - et je devrais sans doute m’interroger sur les raisons d’un rire aussi mauvais de ma part sur des sujets qui sont, en fait, tout sauf drôle, une prochaine fois peut-être, un examen de conscience, promis -, je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir une certaine commisération envers - tenez-vous bien ! - Sarkozy ! Est-ce que le fait que seul le fou du village vous défende, et le fasse aussi bruyamment, ne rejaillit pas en mal sur votre réputation, fasse rire, voire, vous contamine d’imposture - Certes l’imposture de Bernard-Henri Lévy crève les yeux - et il ne faut pas être grand clerc pour la relever - mais est-ce que justement cela ne pourrait pas avoir quelque utilité pour éclairer d’autres impostures moins visibles moins facilement discernables ? La justice qui s’intéresse à rien moins que dix affaires différentes dans lesquelles Sarkozy serait impliqué, n’est-elle pas en train, elle, de démasquer une imposture bien plus grande, aux ramifications encore plus vastes et nettement plus discrètes, accordons-lui cela, que celle, pachydermique, de Bernard-Henri Lévy ? Et n’y aurait-il pas quelque intérêt supérieur à démasquer cette imposture du pouvoir et de son abus, et toutes celles qui, nul doute, vont se retrouver en pleine lumière dans un jeu de domino, dont j’espère qu’il me sera donné assez de vie pour assister à la chute de ses premiers rangs.

    Ces dernières semaines, le battage médiatique et les compte-rendus d’audience du procès dit de Tarnac m’ont curieusement fait regagner un peu de crédibilité politique au sein de communautés pourtant étanches à toute pensée autonome ou anarchiste, que ce soit dans mon environnement professionnel, familial voire amical : ce n’est pas le plus petit des mérites de ceux de Tarnac d’avoir à la fois l’intelligence et l’extrême courage de saisir l’occasion de leur procès pour en faire une lutte politique et dans le cas présent mettre à jour une nouvelle imposture d’État, et ce faisant, on ne peut que se réjouir : à la fin les choses vont finir par se voir.

    Mon cher @reka, il n’est donc peut-être pas complétement inutile de maintenir les im-postures dans la lumière, surtout quand il est loisible d’opérer des liaisons de contagion entre les différentes impostures, et, in fine, créer et favoriser les conditions de la contagion.

    #pendant_qu’il_est_trop_tard

    • Hello hello :

      J’ai lu avec attention ton texte, je dois avouer que je suis authentiquement impressionné, et je commence à revoir ma position ... A condition que ces incursions dans ces mondes crapuleux et nauséabonds n’endommagent pas, par ailleurs, notre capacité à créer, à apprendre et à découvrir tout ce qui ensoleille notre vie, tout ce qui nous enrichit intellectuellement et émotionnellement.

      Mais je reste quand même incertain quant à donner trop de lumière à des phénomènes marketing de cette espèce, obscène à ce point de récupérer le grand Guy Debord à son propre profit...

    • @reka Le but est moins de te convaincre que de réfléchir un peu à voix haute. Mais je comprends aussi que tu raisonnes de la même manière que Sacha Guitry : que l’on parle de cette boursoufflure en bien ou en mal, on est, en fait, en train d’en parler et sans doute que le silence serait à la fois préférable et autrement efficace. Je n’ai, sur le sujet, aucune certitude.