enuncombatdouteux

NI ACTUALITÉS NI COMMENTAIRES, ..... DU COPIER-COLLER ET DES LIENS... Un blog de « curation de contenu » : 82 LIVRES , 171 TEXTES et 34 DOCUMENTAIRES :

  • En Chine, le fichage high-tech des citoyens

    http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/04/11/en-chine-le-fichage-high-tech-des-citoyens_5283869_3216.html

    Pékin fait appel aux nouvelles technologies pour établir des listes noires, du dissident au mauvais payeur.

    L’avocat chinois Liang Xiaojun a pris l’habitude d’être retenu avant de prendre l’avion – et parfois empêché d’embarquer. Début mars, l’avertissement « condamné pour séparatisme » est apparu sur la machine utilisée par la police pour scanner sa carte d’identité avant qu’il s’envole pour la région de Mongolie intérieure. Or, précise-t-il, « je n’ai jamais été accusé ni condamné pour séparatisme ». Peut-être est-ce en lien avec l’un de ses clients : il représente un Tibétain jugé en janvier pour incitation au séparatisme. « A moins que ce soit ce que j’écris sur la messagerie WeChat ? », s’interroge M. Liang.

    On l’a finalement laissé embarquer. Pas comme en août 2015, lorsqu’il avait été carrément empêché de s’envoler pour un semestre d’études à New York. L’ordinateur affichait : « Danger pour la sécurité nationale. » Sans doute, devine-t-il, parce qu’il était proche de certains des avocats des droits de l’homme arrêtés quelques semaines plus tôt.

    Les déboires de M. Liang sont typiques des personnes que leurs activités « sensibles » placent sur des listes noires secrètes, aux critères mystérieux. A ce titre, elles servent de cobayes à l’ambitieux système de « crédit social » que la Chine met en place depuis 2014 : celui-ci se construit pour l’instant autour d’une sanction principale, l’interdiction d’emprunter un avion ou un train.

    Mise à l’index

    Environ dix millions de passagers du transport aérien et quatre millions du ferroviaire se sont vu imposer entre 2013 et mars 2018 des restrictions partielles ou totales à l’achat de billets pour n’avoir pas exécuté la décision de justice à laquelle ils ont été condamnés après épuisement des recours. Parmi eux, 6,2 millions furent entièrement interdits d’avion.

    Cette mise à l’index des inculpés ou débiteurs défaillants par les cours de justice répond certes à un problème bien réel : la difficulté pour l’Etat chinois de faire appliquer les décisions de justice. La Cour suprême chinoise, qui supervise le dispositif, se félicite qu’il ait contraint des dizaines de millions d’individus à se conformer à leurs obligations ou à négocier un arrangement.

    C’est ce succès initial qui a poussé les autorités chinoises à étendre à d’autres domaines d’infractions l’interdiction de voler ou de prendre le train. Depuis le 19e Congrès du Parti communiste chinois en octobre 2017, les cadres sont incités à « mettre diligemment en œuvre » les instructions sur la « construction d’un système de crédit et de sanction selon lequel tout devient limité, une fois que la confiance est perdue ».

    Ainsi, à partir du 1er mai, une nouvelle série de fraudes et de manquements légaux en tous genres viendra s’ajouter au défaut d’exécution des décisions de justice. Annoncée début mars par l’Agence de planification chinoise aux côtés d’une dizaine d’entités publiques, cette nouvelle phase du système de crédit social, baptisée « action disciplinaire conjointe », va sanctionner par des restrictions sur l’achat de billets d’avion et de train toute une gamme de comportements délictueux dans les transports – du non-respect de l’interdiction de fumer à la fausse alerte à la bombe –, mais aussi dans le domaine de la fiscalité et de la gestion financière, boursière et d’entreprise : usage de faux, défaut de paiement des cotisations sociales…

    La liste doit s’étoffer. Et d’autres domaines d’interdiction pourraient voir le jour. « Se met en place un système de listes noires, qui punit par une sanction dans un domaine une mauvaise action effectuée dans un autre, explique Maya Wang, de l’ONG Human Rights Watch à Hongkong. L’ambition finale va beaucoup plus loin : il s’agit d’évaluer une multitude de comportements dans tous les domaines. »

    Le « crédit social » en question n’est pas une « notation » de chaque citoyen par un score et rien n’indique que celle-ci verra jamais le jour, rappelle sur le blog China Law Translate l’observateur de la gouvernance chinoise Jeremy Daum. Il renvoie davantage, selon lui, à « une politique ou une idéologie d’utilisation des données ». Sur le site Internet de promotion du crédit social (www.creditchina.gov.cn), on peut lire d’innombrables dissertations sur les valeurs traditionnelles chinoises. Il s’agit, annonce le site, d’établir une « culture d’honnêteté et d’intégrité ». Le système devra « être essentiellement mis en place d’ici 2020 ».

    Depuis le 1er janvier, toute personne morale est dotée d’un code de crédit social unique. Les individus, eux, restent identifiés par leur numéro de carte d’identité, dont la puce électronique stocke déjà de multiples données. L’objectif peut sembler louable : apporter une solution systémique à l’empire de la fraude qu’est la Chine, en repérant, grâce à l’intelligence artificielle et aux données numériques, les comportements délictueux au niveau des individus, des entreprises, mais aussi, en théorie, des agents publics.

    Cette ferveur disciplinaire pousse aujourd’hui les villes chinoises à une course aux équipements de détection – à commencer par les outils de reconnaissance faciale, permettant d’identifier dans une foule ou sur des photos en ligne des suspects recherchés ou des gens disparus. Le système Sky Net de caméras installé dans 16 municipalités et provinces chinoises aurait ainsi permis de confondre 2 000 fugitifs en deux ans. Et des policiers ont même testé en février dans une gare de Zhengzhou, capitale de la province du Henan, la reconnaissance faciale incorporée à des lunettes.

    « Contrôlocratie »

    Les Chinois ont pour beaucoup une attitude ambivalente face à cette profusion de gadgets de surveillance ou de contrôle. Le droit à la vie privée est fragile en Chine – en raison d’abord d’un Etat de droit déficient. En outre, l’expression yinsi (« vie privée », en chinois) évoque plus le secret et la clandestinité qu’un espace individuel sacro-saint.

    Ces avides utilisateurs de smartphones et des réseaux sociaux n’en ont pas moins appris du reste du monde à dénoncer les atteintes à la vie privée émanant d’entreprises ou de hackeurs. Les scandales ne sont pas rares : les développeurs d’une application d’agrégation de contenus, Jinri Toutiao, ont par exemple été accusés récemment d’écouter les appels téléphoniques à l’aide du micro du smartphone et de proposer des publicités en lien avec les conversations.

    En revanche, les intrusions d’origine étatique et sécuritaire dans la vie quotidienne sont surtout vues comme un progrès bienvenu pour des services de police et de justice longtemps perçus comme inefficaces et corrompus. « La première chose qui me vient à l’esprit quand je vois toutes ces caméras, tous ces contrôles de cartes d’identité, c’est que je suis en sécurité », nous dit Monica Wang, une jeune chef d’entreprise.

    Obnubilé par la défense du régime, l’Etat policier chinois met en effet moins d’ardeur à résoudre les délits de droit commun qu’à contrôler les dissidents ou censurer les réseaux sociaux. Or, ce biais, craignent les militants des droits de l’homme, ne va pas s’estomper avec la montée en gamme de la « contrôlocratie » (selon l’analyste politique norvégien Stein Ringen) de Xi Jinping. Les représailles exercées à l’encontre d’un dissident et sa famille – pressions sur l’employeur, le propriétaire ou l’école des enfants – pourraient se traduire par des sanctions « automatiques » et possiblement inamovibles et opaques, dans divers domaines.

    « Le système de crédit social n’est pas une mauvaise chose pour la Chine, il y a un vrai besoin, dit l’avocat Liang Xiaojun. Mais il risque d’être vite utilisé de manière détournée. L’appareil policier s’en sert par exemple pour mieux contrôler des personnes ciblées et non parce qu’elles enfreignent la loi. »

    Pour Maya Wang, de Human Rights Watch, se profile en Chine une moisson sans limite de données sur les citoyens à des fins de surveillance et de contrôle – dont les données biométriques (ADN, caractéristiques du visage) ou encore les échanges sur les réseaux sociaux. « C’est une violation directe du principe de protection des données personnelles. Celui-ci impose que le citoyen comprenne clairement quelles données on garde sur lui, qu’il donne son accord et que ces données restent dans un périmètre très précis, comme le médical », explique-t-elle.

    L’ONG dénonce ainsi l’expérience de « police prédictive » dont la région autonome ouïgoure du Xinjiang sert de terrain d’essai. Ses habitants musulmans sont vus avec suspicion par Pékin. Une multitude de données privées captées par la surveillance électronique ou humaine, comme l’assiduité à la prière ou le fait de contacter des personnes à l’étranger, servent à imposer à des personnes des sessions de rééducation en centre de détention. « En Chine, les lois sont vagues et l’arbitraire domine, dit Maya Wang. C’est la recette parfaite pour une vraie catastrophe. »