enuncombatdouteux

NI ACTUALITÉS NI COMMENTAIRES, ..... DU COPIER-COLLER ET DES LIENS... Un blog de « curation de contenu » : 82 LIVRES , 171 TEXTES et 34 DOCUMENTAIRES :

  • La plastification du monde serait irréversible

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/04/21/la-plastification-du-monde-serait-irreversible_5288716_3232.html

    Rapport d’étonnement. La matière artificielle qui enthousiasmait les années pop nous a entraînés dans une spirale de destruction naturelle. Dès 2050, les océans pourraient contenir plus de plastique que de poissons. Est-il encore temps de réagir ?

    La passion d’une époque peut devenir le drame de la suivante. Dans les années 1950, les industriels produisent en série de nouveaux objets légers et résistants, fabriqués avec une substance chimique facilement modelable : le plastique. Dans ses Mythologies (1957), Roland Barthes décrit l’enthousiasme pour cette « substance alchimique » bon marché, qui nous offre des meubles multicolores et des téléphones en bakélite, des cuisines en formica et des sacs souples imprimés. « Pour la première fois, écrit le philosophe, l’artifice vise au commun, non au rare (…). Le monde entier peut-être plastifié. »

    Données alarmantes

    Le monde artificiel que prédisait Barthes s’est réalisé : une étude américaine publiée dans Science Advances en juillet 2017 estime qu’entre 1950 et 2015, 8,3 milliards de tonnes de plastique ont été produites. Conséquence, les mers et les océans, grandes poubelles du monde, ont commencé à se plastifier. Le clip de la campagne « Plastic Ocean », lancée le 10 avril par l’ONG Sea ­Shepherd, nous le rappelle. Réalisé par l’agence de communication FF New York, le film montre des raies, des tortues, des dauphins et des requins étouffant dans des vagues de plastique scintillant : il est sur YouTube et il fait peur.

    Un panel de données alarmantes accompagne ces images. D’après le site Planétoscope, qui compile statistiques et données sur l’environnement, 6,5 à 8 millions de tonnes de déchets en plastique sont rejetées chaque année en mer. L’ONG Expéditions Méditerranée en danger, qui lutte contre cette pollution, estimait en 2010 que 250 milliards de microfragments flottaient au large des côtes françaises, italiennes et espagnoles. Le résultat est fatal : d’après Sea Shepherd, 36 % des espèces d’oiseaux de mer et 43 % des mammifères marins sont affectées par ces déchets – et pour longtemps : les polymères mettent mille ans à se dégrader entièrement.

    C’est au printemps 1997, quand son bateau a été pris au cœur d’un gigantesque vortex de débris de plastique dérivant dans le pacifique Nord, que l’océanographe Charles J. Moore a découvert « the great Pacific garbage patch », la grande plaque d’ordures du Pacifique. On estime que sa taille dépasse aujourd’hui de six fois celle de la France, elle est appelée « le septième continent ». Cinq de ces immenses gyres de détritus ont été identifiés dans les grands bassins océaniques terrestres.

    « Espèce invasive »

    A entendre le capitaine Alex Cornelissen, un des dirigeants de Sea Shepherd, nous connaissons aujourd’hui une évolution que n’avait pas prévue Charles Darwin : le plastique est devenu une nouvelle « espèce invasive », « en passe d’anéantir la faune océanique et de s’emparer de son habitat ». D’après un rapport publié en 2016 par la fondation de la navigatrice britannique ­Ellen MacArthur, si rien ne change, les océans pourraient contenir plus de plastique que de poissons dès 2050 : le ratio était de 1 tonne de plastique pour 5 tonnes de poisson en 2014, il sera de 1 pour 3 en 2025. Alors, la ­ « plastisphère » l’aura emporté sur la biosphère marine.

    Le plus dramatique est que, à ce jour, aucune initiative crédible n’émerge pour débarrasser les océans de ces vortex de plastique. D’après les responsables de l’ONG californienne Kaisei Project, qui s’est donné pour mission de les nettoyer et de restaurer l’écosystème océanique, « aucune solution n’est proposée actuellement pour résoudre le problème de l’enlèvement des débris marins flottants ». Le coût serait astronomique et il faudrait monter une coordination internationale, alors qu’aucun pays n’est prêt à s’engager.

    En attendant désespérément cette mobilisation, beaucoup d’écologistes pressent les industriels de passer au recyclage massif et au bio­plastique. Hélas, constate le Kaisei Project, « moins de 5 % des plastiques du monde sont recyclés ». Quant à produire des bioplastiques à partir de maïs ou de pommes de terre, cela soulève d’énormes difficultés. Il faut réquisitionner des terres pour la monoculture, utiliser de grandes quantités d’eau. Où les trouver ? Aujourd’hui, les bioplastiques représentent à peine 1 % des 235 millions de tonnes de plastique produites chaque année.

    L’effrayant clip de Sea Shepherd nous prévient : la matière artificielle qui enthousiasmait les années pop nous a entraînés dans une spirale de destruction naturelle irréversible – un des concepts majeurs au cœur du « principe de précaution » défini par la conférence de Rio sur la biodiversité de 1992 : « En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures visant à prévenir la dégradation de l’environnement. » Aujourd’hui, hélas, les certitudes sur la plasti­sphère s’accumulent.