• Le « manifeste contre le nouvel antisémitisme », une logique dévastatrice | Slate.fr

    Il fait de la lutte pour les juifs une composante du combat identitaire français, et cette identité exclut. Elle s’énonce dans un syllogisme. La France, sans les juifs, ne serait pas elle-même ? Les juifs sont les victimes de musulmans ? La France, par ces musulmans, ne sera plus la France.
    http://www.slate.fr/story/160777/manifeste-contre-nouvel-antisemitisme-logie-devastatrice

    Un texte est publié pour défendre les juifs, que ma mère partage et que tant de personnes signent, que pour beaucoup je ne peux qu’estimer. Pourquoi, alors, suis-je glacé par ce « manifeste contre le nouvel antisémitisme », qui témoigne d’une idéologie française, par la variété et l’ampleur de ses soutiens ? Enfin, des voix s’élèvent, pour « nous », et j’en prends ombrage ? Ce texte est glaçant pour la vérité dont il émane comme pour les mensonges qu’il induit. Il est terrifiant pour ce qu’il rappelle de la vie et de la mort de juifs, ici, depuis le début du siècle ; et horrible pour ce qu’il nourrit : une mise en accusation des musulmans de ce pays, réputés étrangers à une véritable identité française, sauf à renoncer à leur dignité. Je ne conteste pas la bonne volonté des signataires. Je voudrais, humblement, qu’ils mesurent leur risque et leurs mots.
    Dangereux syllogisme
    C’est une curiosité, en République, de voir ceux qui nous garantissent –anciens gouvernants, philosophes, artistes, patrons de média ou mécène de la nouvelle économie, souscrire à ceci, comme une statistique utile : « Les Français juifs ont 25 fois plus de risques d’être agressés que leurs concitoyens musulmans ». Comme s’il fallait étalonner la souffrance juive à l’aune d’une supposée quiétude musulmane, et non pas dans la communauté nationale ; comme s’il fallait opposer le juif, enfant de la France, au « concitoyen musulman », que l’on soupçonne tellement musulman et si peu concitoyen ? Le grand-rabbin de France Haïm Korsia, ayant vu cette phrase, a demandé sa suppression ; Korsia est un républicain. Il ne l’a pas obtenue et a signé quand même. Le grand-rabbin fait de la politique, à son poste, et ne pouvait pas être absent quand les élites se levaient pour les juifs. Mais tout texte collectif est un piège. Il s’imprègne des obsessions de ses premiers auteurs, sous la justesse de sa cause. Comment ne pas rejoindre un texte contre l’antisémitisme, quand depuis les années 2000, des juifs ont subi la violence et l’opprobre ? Comment ne pas saluer un texte qui se scandalise du départ de juifs de quartiers populaires vers des havres plus apaisés, de Garges vers Sarcelles, de la France vers Israël ? Faut-il s’abstraire pour une phrase ? Mais il ne s’agit pas d’une seule phrase mais d’une logique. Elle est attirante et dévastatrice. Elle fait de la lutte pour les juifs une composante du combat identitaire français, et cette identité exclut. Elle s’énonce dans un syllogisme. La France, sans les juifs, ne serait pas elle-même ? Les juifs, de musulmans, sont les victimes ? La France, par ces musulmans, ne sera plus la France.
    Assonance. La France, par les musulmans, ne sera plus la France. Cette conclusion hante nos débats et le texte. Le perçoit-on ? La défense du juif implique le refus de l’islam. Le propos est habile. Peuvent le signer ensemble de grands bourgeois humanistes, des politiques de gauche ou qui croient l’être encore, un ancien président qui troqua le libéralisme pour l’identitarisme, un chef de parti en glissade vers l’extrême droite, des journalistes de la même eau. Ils ne se ressemblent pas ? Puis-je supposer qu’ils n’ont pas les mêmes raisons ? Ou quelque chose se dessine, dans un consensus majoritaire, une idéologie dominante, une majorité molle, qui réprouve l’antisémitisme mais admet qu’on place, en porte-à-faux, les musulmans ?