• Entrepreneur, une autre façon d’être artiste
    http://www.lemonde.fr/campus/article/2018/05/13/entrepreneur-une-autre-facon-d-etre-artiste_5298194_4401467.html

    « Le jour où je me suis retrouvée seule dans mon atelier à ­attendre un rendez-vous qui n’est jamais venu, je me suis dit que c’était la dernière fois que je demandais quoi que ce soit à quiconque », explique l’artiste ­Myriam Mechita. Courir les vernissages pour côtoyer les professionnels du milieu de l’art, attendre qu’une galerie, un critique d’art, un collectionneur ou un commissaire d’exposition s’intéresse à leur travail ?
    Ne plus jouer le jeu du milieu de l’art

    Certains artistes n’acceptent pas ou plus de jouer le jeu du milieu de l’art. Scrutant les interstices du marché du travail dans lesquels leurs œuvres pourraient se glisser, ils se consacrent au développement de leur propre système économique. Parce que les projets artis­tiques nécessitent du temps pour devenir économiquement viables, tous ont dû faire preuve d’opiniâtreté et de patience.

    Dès la fin des années 1980, Fabrice ­Hyber s’est posé en artiste entrepreneur. « Le premier wagon des artistes subventionnés par l’Etat était déjà passé, rappelle-t-il. Si je voulais réaliser des choses, je ­devais aller dans les lieux où il y avait des moyens : les entreprises. J’ai ensuite créé en 1994 la société UR afin de transformer les collectionneurs, principalement des chefs d’entreprise, en producteurs d’œuvres. »
    Avec sa société UR, Fabrice ­Hyber veut « transformer les chefs d’entreprise collectionneurs en producteurs d’œuvres ».

    Bertrand Planes s’est, lui aussi, ­engagé dans un projet artistique entrepreneurial. Dès sa troisième année à l’Ecole supérieure d’art de Grenoble, il a fondé un label alternatif en partenariat avec Emmaüs France. Ses ­défilés performances ont attiré médias nationaux, galeristes et institutions. ­Devenu un artiste enseignant exposé à travers le monde, il doit la majeure partie de ses projets aux contacts réalisés à cette période.
    Transmission de compétences

    De son côté, Emilie Benoist, qui explore dans ses sculptures et dessins l’impact de l’homme sur son environnement, a ­contacté il y a huit ans Amnesty International pour participer à une action militante. Sans savoir que l’association ­humanitaire souhaitait s’engager dans l’écologie. Après quelques années de ­bénévolat ponctuel, elle est maintenant partie prenante de l’association française et est rémunérée pour ses productions visuelles régulières.

    Certains artistes s’orientent vers la transmission de leurs compétences et de leur regard sur le monde. « J’ai choisi ­d’enseigner afin de m’engager localement et, même si ce n’était pas mon but premier, de ne pas être uniquement dépendant des ventes », explique Bruno Peinado, ancien étudiant de l’Ecole supérieure des beaux-arts de Lyon, puis de Nantes qui enseigne à l’Ecole supérieure d’art de Quimper. ­Myriam Mechita a, elle, organisé pendant huit ans des ateliers ­artistiques hebdomadaires dans un hôpital psychiatrique, avant de rejoindre l’Ecole des beaux-arts de Caen comme enseignante. Ce poste lui permet de ne plus avoir à courir après les ventes.

    Pourtant, lorsque cette activité professionnelle n’est pas salariée, elle doit ­souvent être complétée, comme le ­confirme Marion Brosse. « En parallèle des ateliers artistiques qui se tiennent dans mon atelier galerie, Champsecret, je vends mes œuvres, je loue l’espace et je suis illustratrice », dit celle qui est ­devenue une vraie auto-entrepreneuse, à l’instar de ces artistes qui, sans être soutenus par une galerie ou un agent, créent, développent et communiquent autour de leur pratique.

    Lire aussi : Apprendre à investir l’espace public par la culture
    « Nous sommes des faiseurs »

    Tony Regazzoni, lui, a choisi de devenir assistant d’artiste. Libre dans son emploi du temps, travaillant à la réalisation des œuvres de Xavier Veilhan, qui représentait en 2017 la France à la Biennale de ­Venise, il peut continuer à développer son art. Ce point leur semble à tous indispensable. Avant de se lancer dans une formation de designer textile, l’artiste autodidacte Julien Colombier vivait ainsi de petits boulots chronophages. Lorsqu’il a pu se consacrer pleinement à sa pratique pendant cette année de formation, son style, le dessin à la craie appliqué sur une surface noire, s’est affirmé. Il a alors lancé un salon de design textile et, de fil en aiguille, a développé des rencontres et des collaborations avec Chanel, les Galeries Lafayette ou l’Hôtel Bienvenue à Paris.

    « Nous sommes des faiseurs », affirme Myriam Mechita. Produire des œuvres, monter des expositions, leur donner de la visibilité, développer des lieux asso­ciatifs, organiser un défilé, une rencontre… « Faire » leur est primordial. « Il ne faut pas attendre mais faire au mieux ce que l’on désire », dit Bruno Peinado, pour « échapper à cette machinerie qui prône la nouveauté et broie les artistes ».

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    La reference à Fabrice Hyber m’a fait pensé à ce texte recu il y a peu dans ma boite mail :

    Lettre de démission de Rémy Aron de la présidence de la Maison des Artistes. 28 avril 2018

    Depuis 1980 je suis engagé bénévolement, pour une très grande partie de mon temps et de mon énergie dans l’action collective.

    J’ai cru que l’action pouvait aider à faire bouger le cheminement chaotique de nos arts en tentant de rassembler les forces représentatives des artistes pour agir et promouvoir une nouvelle politique culturelle, basée sur la liberté et la diversité bienveillante. La diversité des expressions, la diversité des esthétiques, la diversité des natures, la diversité des artistes et des désirs, devrait être acceptée et encouragée par les pouvoirs politiques. C’est une conviction que j’ai voulue défendre jusqu’à maintenant avec persévérance et humilité dans le quotidien militant.

    L’élection de Fabrice Hyber à l’Académie des beaux-arts est, pour moi, une très importante désillusion quant à la capacité des artistes à anticiper et à gérer les affaires qui les concernent. Avoir élu comme membre de la prestigieuse Académie des beaux-arts l’inventeur du « plus grand savon du monde » me paraît, une profonde injure à l’idéal et la trahison absurde et inutile de l’assemblée de l’élite de nos pairs.

    Vous pouvez le croire je n’ai aucune acrimonie envers les personnes ou des artistes que je ne connais pas directement pour la plupart ; et en outre je n’aurais pas l’outrecuidance de revendiquer pour moi-même une qualité artistique personnelle, cela d’ailleurs ne regarde que le secret de mon cœur. Je ne veux donner de leçons à personne.

    Néanmoins, je pouvais penser que cette assemblée de praticiens d’art du « bâtiment », que je respectais, se devait d’avoir une éthique professionnelle collective et que l’Académie des beaux-arts devait avoir une mission fondamentale. Elle devrait se concentrer sur le service de la création artistique avec une certaine hauteur de vue et un respect pour les langages spécifiques de chacune des disciplines artistiques représentées en son sein avec une conscience de la continuité et de la permanence.

    Comme les devoirs de mon mandat à la Maison des artistes me contraignent à la réserve, fatigué et attristé une fois encore par le résultat de l’action collective alors qu’il faudrait continuer à avoir la foi et être sur la brèche en permanence, je démissionne de la présidence de notre grande association de solidarité. Je souhaite bien entendu que du sang neuf reprenne le flambeau. Défendre la diversité a des limites – les armes sont inégales – et je souhaite le dire et recouvrer ma pleine liberté de parole et d’action après treize années bridées, à la présidence de La Maison des Artistes.

    Je ne crois pas à la rupture dans l’histoire de l’art et ne veux plus que peindre – admirer les maîtres que j’aime et la nature. Mais je dois dire que je suis vraiment atteint car nous assistons avec cet événement, à une accablante constatation : il s’est manifesté à cette occasion un signe symbolique fort de la décomposition intellectuelle de notre société. Cela met en évidence quelque chose de grave sur l’état de conscience de la France de notre temps et sur le rôle pédagogique et la responsabilité éducative de ses institutions officielles vis -à-vis de la société tout entière.

    Enfin, je pouvais espérer que l’élection de Jean-Marc Bustamante se soit inscrite dans une stratégie préméditée à cause de ses fonctions à l’Ecole des beaux-arts de Paris. Mais cela ne fait plus aucun doute, la section de peinture et avec elle, tous les membres – électeurs votant à bulletin secret – de l’Académie des beaux-arts, de l’Institut de France, ont capitulé en rase campagne devant la collusion de l’Institution étatique et de l’art financier globalisé. Ce mariage ne dit que le « snobisme/fashion » occidental de cette époque, mais il pervertit en profondeur le silence nécessaire à la contemplation et à la compréhension des choses de l’art.

    Pour moi, cette élection est injustifiable, mais l’« Histoire » – si cela a encore un sens – jugera !

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    Par rapport au texte de départ, ce genre de discours enrobe le fait que les artistes veulent être artistes, pas prof, pas "transformateur·rices de chefs d’entreprise en producteurs d’œuvres", pas artisan·nes, pas décorateur·ices d’interieur, pas illustrateur·rices... Si je voulais être illustratrice, ou ces autres trucs, je l’aurais fait dès le début, pareil pour prof. Si les artises doivent devenir entrepreneur·es c’est que les institution font pression sur elleux pour qu’ils quittent le métier. Par exemple quant mes revenus de vente étaient insuffisants, pour avoir le RSA (car pas de chomage ni congers, ni rien dans le statu d’artiste) il fallait chercher un boulot sérieux, comme faire des cours. Peut etre que certain·nes artistes sont très content·es d’auto-entreprendre, d’enseigner, d’illustré, mais c’est d’autres metiers et compétences qui n’ont pas forcement à étre lié au metier d’artiste.

    Par rapport a ceci « Le jour où je me suis retrouvée seule dans mon atelier à ­attendre un rendez-vous qui n’est jamais venu, je me suis dit que c’était la dernière fois que je demandais quoi que ce soit à quiconque ». Je comprend que c’est enervant, mais les lapins et la dépendance vis à vis des autres ca arrive dans tous les domaines, y compris l’illustration, l’enseignement, l’auto-entreprenariat. En cas de rdv dans mon atelier, en attendant je dessine comme ca si on me sert du lapin j’ai pas perdu mon temps.
    Ce texte ne dit pas les vrai raisons ; dégager de la MDA les artistes au RSA (surtout des femmes) et mettre en avant l’art ultra-capitaliste (à base d’auto-entrepreneur·es surtout masculins, comme Hyber ou ce genre de jeunes opportunistes : https://atlantesetcariatides.wordpress.com/2017/10/08/instant-pleasure-un-long-deplaisir )

    • Aaah, l’entrepreneur, en agriculture en plomberie en artisanat en art ou autre, c’est la stagnation à la petite entreprise de masturbation qui te coûte plus cher en temps et en énergie que n’importe quel salariat, mais c’est la liberté pour tou™fes bien entendu, tu crois choisir de quoi tu crèves. La république de l’entreprenariat avec pour galvaniser les foules, le journal LeMonde dans le rôle de Mr Loyal, ah aha ha une autre façon d’être artiste ? vraiment ? c’est toi Le Monde qui distribue les bons points et décide de qui est artiste ? Faut arrêter de lire cette merde, stp @mad_meg

    • Faut arrêter de lire cette merde, stp @mad_meg

      Non je prefère connaitre mes ennemi·es. Et je ne me suis pas contenté de mettre le texte du monde, je l’ai mis en relation avec d’autres sources et j’y ai ajouté une petite analyse perso, du coup je comprend pas cette demande. Si j’arrete de lire cette merde, qu’est ce que ca change au fait qu’on pousse les artistes à devenir profs, artisan·nes, illustrateur·ices... ?

      D’autre part ca me rappel le discours lu ici sur le fait de se revendiqué « artisan·ne » et non « artiste ». Et la recommandation de prendre ses libertés avec le milieu/marché de l’art en ayant un metier rémunérateur à coté de sa pratique artistique.

      Ce discours anti-bourgeois (car l’artiste est vu comme forcement bourgeois, oisif, privilégié·e en opposition à l’artisan·ne vu comme prolétaire, ouvrier·e, alors qu’il y a beaucoup de bourgeois aujoud’hui qui deviennent artisanıes pour retourner aux sources et pas mal d’artistes qui sont très pauvres, précaires...) est très pratique, ca permet d’errober le « va te chercher un vrai travail rémunérateur et garde tes jolis dessins pour le marché de la création du dimanche » et ca s’accompagne de « on va pas te payé tes dessins qu’on publie car tu as un vrai travail à coté et le dessin c’est juste ton hobbie »...

    • Mais il y a aussi l’idée (et je connais notamment plusieurs cas dans le milieu de la musique plutôt) qui est de ne pas être dépendants du marché pour créer des œuvres.

      Et là c’est donc une critique à la fois de l’artiste dépendant des galeries, subventions, etc, et aussi de l’artiste entrepreneur qui vend à des entreprises, qui crée son propre petit marché et ses contacts.

      Enfin ce n’est pas vraiment une critiques des autres, si d’autres s’en sortent comme ça tant mieux pour elleux, mais plus un besoin pour ces artistes d’être le moins dépendants possible de tout financement de leur art, ce qui compte étant d’être un peu plus libres de créer ce qu’illes veulent, que ce soit bien vendu ou pas ensuite.

      Entre autre je connais au moins trois rappeurs dont c’est le cas (Rocé, JP Manova et Fuzati), qui ont des boulots, les deux premiers faisant de l’interim depuis toujours, manutention etc (donc pas CDI donc pouvoir s’arrêter quand ils veulent pour aller en concert ou autre).

      Là ce n’est pas une critique de l’artiste en tant que bourgeois lui-même, mais par contre en tant que dépendant de l’argent des bourgeois pour faire ses œuvres oui.

    • Quand @rastapopoulos évoque l’argent des bourgeois dont dépendent les artistes, il ne me vient pas spontanément à l’esprit la figure des acheteurs/consommateurs, mais plutôt celles des « organisateurs de marché », ceux qui font de la production artistique une marchandise de façon bien plus déterminante que les clients en bout de chaine.

    • Oui, en premier lieu.

      Même si aussi suivant les œuvres, ça impacte aussi le prix en bout de chaine. Une œuvre picturale est dans de très nombreux cas beaucoup plus chère qu’un CD, donc qui peut acheter l’œuvre finale ça joue aussi.

      J’oubliais un autre rappeur, Lucio Bukowski, qui est bibliothécaire aussi au quotidien. Et je ne vois pas ce qu’il y a de méprisant, ça fait que leurs créations n’est pas (ou en tout cas beaucoup moins) influencé par le formatage commercial. Forcément un⋅e artiste qui ne vit que de ça, dans de nombreux cas doit se plier à plus d’impératif pour passer par les canaux officiels (que ce soit les radios pour la musique, ou les galeries, etc) qui sont tenus par la bourgeoisie et/ou les industries culturelles. Ce n’est pas obligatoire, mais la plupart qui ne le font pas ont alors une vie très précaire, ça fait qu’une très petite minorité arrive à vivre décemment en ayant que ça. Et c’est normal, la masse du peuple peut pas se payer ça régulièrement (et encore plus pour des peintures que pour des CD).

      Quant à la baise du prix, dans de nombreux cas c’est très bien aussi, une œuvre non formaté par le marché de l’industrie culturelle ET qui en plus est moins chère qu’une œuvre commerciale de base, je suis désolé mais ce n’est que du bon pour la culture populaire. Les albums de Lucio sont tous à 10€ en CD, alors que tu prends un album d’un truc de culture de masse, c’est 15 à 20 euros pour un truc qui qualitativement est de la grosse merde.

      Oui s’il y a mépris, c’est mépris de cette culture de masse et qui en plus coûte un bras, et perso je revendique totalement ce mépris, ya aucun soucis. :D