Sandburg

Développeur, col blanc en T-shirt noir.

    • L’homme enfin inclus dans les études de genre

      Les chercheurs se sont longtemps focalisés sur les femmes. Pourquoi ont-ils mis tant de temps à s’intéresser également au masculin ?

      En 2019, l’université Stony Brook de Long Island, dans l’Etat de New York, accueillera le premier master de « Masculinity studies », qui permettra aux étudiants de décrocher un diplôme dans cette matière. C’est sur ce site qu’avait été créé, en 2013, le Centre pour l’étude des hommes et des masculinités. Autant dire que les recherches tournées vers cette partie de l’humanité se sont structurées bien plus tard, aux Etats-Unis, que les ­Women’s studies, introduites au début des années 1970 et enseignées aujourd’hui dans des centaines d’universités américaines.

      En France, l’offre évolue encore plus lentement. Près de cinquante ans après la création du Centre d’études féminines et d’études de genre, fondé à l’université Paris-VIII-Vincennes en 1974 par l’écrivaine Hélène Cixous, la question de la masculinité émerge à peine au sein de l’institution. Le sociologue Eric Fassin constate ainsi que « les études sur les hommes ont longtemps été caractérisées par une invisibilité marquante. Les travaux s’inscrivant dans la perspective des études de genre se sont focalisés dans un premier temps sur les femmes et les enjeux socioculturels de la féminité ».

      Catégories majoritaires

      Pendant des décennies n’ont eu lieu en France qu’une poignée de travaux isolés, comme ceux de Nadine Le Faucheur et Georges Falconnet, Daniel Welzer-Lang, Anne-Marie Devreux ou Christine Castelain-Meunier. Le sujet n’est sorti de l’ombre que ces dernières années. En 2013, l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) a accueilli un premier colloque international sur « Les masculinités au prisme de l’hégémonie », qui a été suivi d’un séminaire intitulé « Approches critiques des masculinités » organisé par Gianfranco Rebucini, Florian Vörös et Mélanie Gourarier.

      « QUAND J’AI COMMENCÉ MA THÈSE SUR LE COACHING EN SÉDUCTION HÉTÉROSEXUELLE, JE N’AVAIS PAS CONSCIENCE DE TRAVAILLER SUR LA MASCULINITÉ, TÉMOIGNE L’ANTHROPOLOGUE MÉLANIE GOURARIER. POURTANT, J’ÉTAIS LA SEULE FEMME PARMI DES GROUPES D’HOMMES »

      « C’est un champ encore très peu structuré mais les choses évoluent, témoigne cette anthropologue, auteure d’Alpha mâle. Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes (Seuil, 2017). Il y a deux ans, les propositions de master sur les masculinités étaient extrêmement rares. Aujourd’hui, nous en recevons plus de dix par an, ce qui représente un peu plus d’un quart des sujets. »

      Mélanie Gourarier fait partie d’un noyau de jeunes chercheurs qui a éclos dans la dernière décennie. « Quand j’ai commencé ma thèse sur le coaching en séduction hétérosexuelle, je n’avais pas conscience de travailler sur la masculinité, témoigne-t-elle. Pourtant, j’étais la seule femme parmi des groupes d’hommes. En sciences sociales, la majorité des travaux portent sur des hommes, mais sans que cette question de la masculinité soit jamais spécifiée… »

      Illusion d’universalité

      Un tel retard a de quoi étonner. Longtemps, les travaux sur les femmes se sont accumulés tandis que les chercheurs ignoraient le « premier sexe », selon la formule de l’historien ­André Rauch. « On a commencé par s’intéresser aux minorités, puis, dans un deuxième temps, on a interrogé les catégories majoritaires – hommes, blancs, hétérosexuels », relève Eric Fassin. Au départ, l’histoire des mâles n’apparaissait pas problématique car elle se présentait comme l’histoire tout court. Tant que les effets de la domination sur les femmes n’avaient pas été mis en lumière, la catégorie « homme » passait pour universelle.

      Pour le philosophe Thierry Hoquet, le vocabulaire a conforté cette illusion d’universalité. « Le terme “homme” crée une confusion entre le masculin et l’être humain, souligne-t-il. Il a contribué à obscurcir le retour critique sur la masculinité en en faisant une catégorie non problématique. On cite souvent une phrase de Lévi-Strauss qui raconte comment, alors que les hommes étaient partis en pirogue, il resta “seul” avec les femmes et les enfants dans un village qu’il présente comme désert. »

      « LES FEMMES AVAIENT INTÉRÊT À REMETTRE EN CAUSE L’ÉTERNEL FÉMININ TANT IL LES ENFERMAIT, RÉSUME LA PHILOSOPHE OLIVIA AZALÉE. LES HOMMES ONT EU PLUS DE MAL À COMPRENDRE QUE LE MODÈLE DE LA VIRILITÉ LES OPPRIMAIT EUX AUSSI. »

      Si les hommes n’ont pas pris à bras-le-corps cette question qui, pourtant, les concerne, c’est sans doute parce que leur position sociale privilégiée ne les incitait pas à déstabiliser l’édifice. « Les femmes avaient intérêt à remettre en cause l’éternel féminin tant il les enfermait, résume la philosophe Olivia ­Gazalé, auteure du Mythe de la virilité. Un piège pour les deux sexes (Robert Laffont, 2017). Les hommes ont eu plus de mal à comprendre que le modèle de la virilité les opprimait eux aussi. » « Un mouvement de libération nationale s’occupe rarement de la psychologie des occupants », ajoute la sociologue Nadine Le Faucheur, qui fut, avec Georges Falconnet, l’une des premières à se pencher sur le sujet, en pleine révolution féministe, avec La Fabrication des mâles (Seuil, 1975).

      L’appréhension française vis-à-vis des apports anglo-saxons n’a sans doute pas aidé à l’émergence de ces questions dans l’Hexagone. C’est en effet dans les pays anglophones que les études sur les masculinités ont pris leur essor, grâce aux travaux du sociologue américain Michael Kimmel, coauteur de Men’s Lives (Macmillan, 1989, non traduit), et de l’Australienne Raewyn Connell, qui, en 1995, posait avec l’ouvrage Masculinités (éditions Amsterdam, 2014) les bases d’une théorie critique.

      Enfin, la figure tutélaire de Pierre Bourdieu, qui occupait en France une place à part, a freiné l’importation d’outils féconds. « Le contexte scientifique, qui était marqué par l’ouvrage La Domination masculine, de Bourdieu [Seuil, 1998], a rendu difficile l’intégration du concept de “masculinité hégémonique” développé par Raewyn Connell, qui permet de penser la pluralité des rapports de domination, y compris ceux qui s’exercent entre hommes, sur des hommes », soulève ­Mélanie Gourarier.

      « Panique morale »

      A en croire certains, l’institution universitaire résisterait en outre à accueillir ces sujets jugés sensibles, en particulier dans le contexte post-Manif pour tous. Sylvie Ayral, docteure en science de l’éducation, affirme avoir été « barrée de partout » après avoir publié La Fabrique des garçons (PUF, 2011), un ouvrage couronné par le Prix Le Monde de la recherche universitaire. « L’université ne m’a pas demandé la moindre intervention à la suite de mes travaux et, lorsque j’ai envoyé des candidatures spontanées pour donner des conférences, je n’ai même pas eu d’accusé de réception, explique-t-elle. Quant à l’Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM), il a annulé ma venue deux jours avant sur décision du directeur qui trouvait le sujet délicat. L’idée que l’on puisse déviriliser les garçons suscite une panique morale et renvoie à la crainte que la société s’écroule. »

      Pour l’anthropologue Mélanie Gourarier, l’affaire Weinstein est cependant le symptôme d’une évolution. « Parce qu’on est de plus en plus sensibilisé à la construction sociale de la masculinité, des situations qui étaient jusqu’alors invisibles car acceptées deviennent soudain insupportables et se disent enfin. »

      Orienter l’attention vers la catégorie des hommes, c’est aussi permettre que les efforts pour accéder à l’égalité ne reposent plus seulement sur les épaules des femmes. Quand Josselin Tricou parle autour de lui de sa thèse en préparation sur « Les masculinités sacerdotales dans l’Eglise catholique », ses interlocuteurs évoquent souvent spontanément l’absence des femmes dans le clergé. La réponse qu’il a l’habitude de faire ouvre un nouvel horizon de réflexion.

      « Le problème, ce n’est pas que les femmes n’aient pas de place, mais que les hommes prennent toute la place. »

    • Merci @enuncombatdouteux
      Avec ce titre je pensait à pire, c’est quand meme pas très bon. Il y a confusion entre études féministes (et qui étaient plutot les recherches de chercheuses plutot que de chercheurs) puis aux USA sont apparus les « gender’s studies » pour integré les hommes. Le mot « genre » ne fait pas consensus en france meme chez les féministes. Je me souviens d’une conférence qui expliquait que l’expression « étude de genre » invisibilisait les femmes et les credits d’études étaient captés désomais par des hommes dont certains masculiniste et en particulier un mec de toulouse qui doit probablement etre cité comme reference par le e-monde.fr
      Le texte invisibilise les homosexuel·les car les études de genre sont aussi la rencontre des etudes queers et études féministes. Les études sur les masculinités homos existent depuis un moment.
      Sinon je relève que André Rauch répète ce que viens de dire Mélanie Gourarier comme si il fallait une caution masculine pour soutenir ce qu’elle viens de dire. D’ailleur elle est présenté comme faisant « partie d’un noyau de jeunes chercheurs qui a éclos dans la dernière décennie. » (mais on sera pas en quoi elle est chercheuse) tandis qu’André Rauch est « l’historien ».