• Comprendre les printemps arabes, par alain gresh @orient

    « Revolution without Revolutionaries » d’Asef Bayat · Que s’est-il vraiment passé ? Comment en est-on arrivé là ? Sept ans après leur déclenchement, que reste-t-il des révolutions arabes ? Autant de questions que pose le sociologue Asef Bayat et auxquelles il apporte des réponses originales dans un ouvrage parfois décousu, mais assurément l’un des plus stimulants qui aient été écrits sur le sujet. Chercheur reconnu, l’auteur a vécu deux moments révolutionnaires dans la région, à Téhéran avec la chute du chah en 1978-1979 et au Caire en 2011-2012, ce qui fait de lui un témoin privilégié, qualifié pour dresser un tableau comparatif de ces deux expériences.

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    En 1979, en Iran, l’idée de « révolution » disposait d’un fort écho dans de larges segments de la population, modernes ou traditionalistes. Elle était implantée aussi bien chez les marxistes que dans l’islam politique, portée par la figure emblématique d’Ali Shariati, un penseur islamo-marxiste. La chute du chah a coïncidé avec l’effondrement de l’appareil étatique et le développement d’un mouvement social fait d’occupations de terres, de logements, d’usines. Les idéaux républicains, mélange d’affirmation de la souveraineté populaire et d’aspiration à la justice sociale embrasaient les esprits.

    Le monde vivait alors le temps des révolutions, notamment dans ce qu’on appelait alors le tiers-monde, du Yémen à la Palestine, de l’Amérique latine aux colonies portugaises. Une époque marquée par la victoire du peuple vietnamien sur les États-Unis et par l’effondrement des derniers débris des empires coloniaux. Toutes ces luttes nourrissaient l’imaginaire intellectuel des révolutionnaires iraniens, qu’ils soient marxistes ou religieux. L’hostilité aux puissances occidentales, en premier lieu les États-Unis, était générale et l’hégémonie des idées socialistes s’affirmait dans de nombreux domaines. Même des mouvements comme les Frères musulmans, bien moins radicaux que leurs homologues iraniens, prônaient « le socialisme islamique ». Transformations politiques et transformations économiques et sociales étaient profondément liées.