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NI ACTUALITÉS NI COMMENTAIRES, ..... DU COPIER-COLLER ET DES LIENS... Un blog de « curation de contenu » : 82 LIVRES , 171 TEXTES et 34 DOCUMENTAIRES :

  • Contre les « fake news », éduquer à la démarche scientifique

    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/05/27/contre-les-fake-news-eduquer-a-la-demarche-scientifique_5305389_1650684.html

    Autocritique, transparence, autocorrection : ce qui fait la force de la science la rend vulnérable aux « marchands de doute », explique le président du comité d’éthique du CNRS.

    Jean-Gabriel Ganascia, professeur d’informatique à Sorbonne Université, préside le comité d’éthique du CNRS. Dernier ouvrage paru : Le Mythe de la singularité. Faut-il craindre l’intelligence artificielle ? (Seuil, 2017).

    Pourquoi les « fake news » – terme auquel vous préférez le néologisme français « infox » –, mettent-elles la science en danger ?

    Les « infox » augmentent la défiance du grand public vis-à-vis de la science dans la mesure où elles remettent en cause un certain nombre de résultats de la recherche. Celle-ci a toujours été un terrain de prédilection pour les « marchands de doute » – lobbys industriels, religieux ou idéologiques. Dans le domaine des OGM, du réchauffement climatique, de la théorie de l’évolution ou de la vaccination, les faits sont régulièrement distordus pour promouvoir une cause. Ce qui est nouveau, c’est que ces « infox » colportées par les réseaux sociaux sont désormais fabriquées et diffusées à une échelle qui n’a plus rien d’artisanal.

    La situation est d’autant plus complexe que la science, par nature, se nourrit de défiance. Elle ne repose pas sur la confiance dans les intuitions immédiates que nous donnent les sens : elle essaie, au-delà de son doute, de retrouver des formes d’assurance avec des méthodes de preuve. Une controverse scientifique part d’un désaccord entre des chercheurs de bonne foi, mus par la volonté de parvenir à la vérité, qui s’y efforcent par des débats contradictoires, en utilisant des arguments rationnels et des preuves rigoureuses.

    « LE BON DOUTE EST INQUIET, DÉFEND DES THÈSES TOUT EN RESTANT OUVERT AUX ARGUMENTS DE L’AUTRE. LE MAUVAIS DOUTE NE DOUTE PAS DE LUI-MÊME, NE SUPPORTE AUCUNE CONTRADICTION ET N’EST PAS ÉTAYÉ PAR DES FAITS »

    C’est paradoxalement cette force de la science – l’autocritique, la transparence, l’autocorrection – qui prête le flanc aux vérités « alternatives ». Mobilisées pour alimenter de fausses controverses, elles allèguent de faits douteux et ne laissent pas de place pour le débat de bonne foi. C’est toute la différence entre le « bon doute » et le « mauvais doute ». Le bon doute est un doute inquiet, qui défend des thèses tout en restant ouvert aux arguments de l’autre. Le mauvais doute est un doute qui ne doute pas de lui-même, qui ne supporte aucune contradiction et qui n’est pas étayé par des faits.

    Le comité d’éthique du CNRS, que vous présidez, vient de produire un avis sur ce nouveau régime de « post-vérité ». Quelles responsabilités crée-t-il pour les chercheurs ?

    Pour aider les citoyens à prendre des décisions collectives sur des questions importantes, il faut porter à leur connaissance un certain nombre de conclusions de la recherche. Le fact-checking tel que le proposent aujourd’hui les grands médias est évidemment nécessaire, mais son efficacité reste limitée : l’expérience montre qu’une fois une nouvelle diffusée, le mal est fait, même si l’on démontre qu’elle est fausse. Il ne faut pas oublier par ailleurs que ces « infox » sont encouragées par le système économique. Les grands acteurs d’Internet rétribuant les informations en fonction du nombre de clics, les plus étonnantes sont toujours les plus rentables. Pour prendre le mal à la source, il faudrait donc amener les acteurs d’Internet à changer leur modèle économique.

    Comment, dans ce contexte, endiguer le « mauvais doute », qui a des conséquences délétères en matière de politiques publiques ou de comportements individuels ? Il faut essayer de communiquer le mieux possible avec un public le plus large possible, en utilisant toutes les voies de médiation, y compris les sciences participatives. Il faut également une meilleure éducation à la démarche scientifique – en enseignant l’épistémologie, par exemple, dès le secondaire. L’histoire des sciences permet en effet de valoriser le « bon » doute. Elle montre que la vérité ne s’impose pas toute seule.

    Que pensez-vous de la loi en préparation, qui propose une procédure judiciaire d’urgence pour les élections lorsqu’il est avéré qu’une fausse nouvelle de nature à altérer la sincérité du scrutin est diffusée de manière massive ?

    La liberté d’expression est une valeur essentielle, et je crains beaucoup une loi qui la restreindrait. Mais la diffusion massive de « fake news » est susceptible de provoquer un obscurcissement de l’attention tel que peuvent venir à manquer les capacités cognitives permettant de discerner le vrai du faux. Il me semble donc important de pouvoir identifier précisément ces stratégies d’obscurcissement de l’information et les arrêter lorsqu’elles visent véritablement à fausser les choix démocratiques à des moments-clés. Si la loi arrive à mettre ce garde-fou en place de façon claire, je pense qu’il faut la soutenir.